L\'Emir Abd el Kader

Damas vue d'une colline

 

Ibn Battûta — Voyages 169 I. De l'Afrique du Nord à La Mecque , un voyageur du XIVème siécle 4

466 Une grande partie de la description de Damas est reprise à Ibn Djubair. Ces passages sont soulignés.

467 « Nous avons fait du fils de Marie et de sa mère un Signe. Nous leur avons donné asile sur une colline tranquille et arrosée » (Coran, XXIII, 50).

468 Coran, XXXVIII, 41.

469 Nom de la campagne aux environs de Damas.

Rien n'est supérieur à ce qu'a dit, en la décrivant, Abou'lhoçaïn, fils de Djobeïr 466, et voici ses paroles :

« Quant à Damas, c'est le paradis de l'Orient, et le point d'où s'élève sa lumière brillante ; le dernier pays de l'islamisme que nous avons visité, et la nouvelle mariée d'entre les villes, que nous avons admirée dans sa splendeur, et sans voile. Elle était ornée par les fleurs des végétaux odo-rants, et apparaissait tout éclatante p206 dans les vêtements de brocart de ses jardins. Elle occupait un rang éminent pour la beauté et était parée, dans son siège nuptial, des ornements les plus jolis. Cette ville a été enno-blie parce que le Messie et sa mère ont habité une de ses collines, de-meure sûre et lieu abondant en sources 467, c'est un ombrage durable et une eau limpide, comme celle de la fontaine Salsébîl dans le Paradis. Ses ruisseaux coulent dans tous les chemins, avec les ondulations du serpent, et elle a des parterres dont le souffle léger fait renaître les âmes. Cette ville se pare, pour ceux qui la regardent, d'un brillant ornement, et leur crie : "Venez au lieu dans lequel la beauté passe la nuit, et fait sa sieste !" Le sol de cette ville est presque tourmenté par la quantité de l'eau, au point qu'il désire la soif ; et peu s'en faut que les pierres dures et sourdes ne te disent elles-mêmes dans ce pays : "Frappe la terre de ton pied ; c'est ici une eau fraîche pour les ablutions, en même temps qu'une bois-son pure 468." Les jardins entourent Damas, à l'instar de ce cercle lumi-neux, le halo, quand il environne la lune, ou des calices de la fleur qui embrassent les fruits. A l'est de cette ville aussi loin que la vue peut s'étendre, se voit sa ghouthah 469 verdoyante. Quel que soit le point que tu regardes sur ses quatre côtés, tu le vois chargé de fruits mûrs, à une aussi grande distance que tes yeux peuvent distinguer. Combien ont dit vrai ceux qui ont ainsi parlé à l'égard de cette ville : "Si le paradis est sur la terre, certes c'est Damas ; et s'il est dans le ciel, cette ville lutte de gloire avec lui, et égale ses beautés". »

Ibn Djozay dit : « Un poète de Damas a composé des vers dans ce sens, et il s'exprime ainsi : p207

Si le Paradis de l'éternité est placé sur la terre, c'est Damas, et pas d'autre ville que celle-ci. S'il est dans le ciel, il lui a départi son atmosphère et son attrait. Ibn Battûta — Voyages 170 I. De l'Afrique du Nord à La Mecque

470 « Voici un excellent pays et un Dieu qui pardonne » (Coran, XXXIV, 14).

471 De Wadi Ash (Cadix), contemporain d'Ibn Battûta qui voyagea dans l'Est vers 1320 et encore en 1333. Il mourut de la peste à Tunis en 1348.

472 Mort en 1232-1233.

473 Arqala le Damascène, de la tribu des Kalb, contemporain et ami de Saladin, mort vers 1180.

La ville est excellente, et le maître clément 470. Jouis donc de ce trésor, au soir et au matin.

La ville de Damas a été mentionnée par notre cheïkh traditionnaire, le voyageur Chams eddîn Abou Abd Allah Mohammed, fils de Djâbir, fils de Hassân elkeïcy elouâdïâchy 471, habitant à Tunis. Il a cité le texte d'Ibn Djobeïr, puis il a ajouté ce qui suit :

« L'auteur a bien parlé dans la description qu'il a faite de cette ville, et il s'est exprimé, à ce sujet, d'une manière sublime. Ceux qui ne l'ont pas vue désirent la connaître, par suite de ce qu'il en a dit. Quoiqu'il n'ait pas sé-journé beaucoup à Damas, il en parle éloquemment, et avec la véracité d'un savant très profond. Mais il n'a pas décrit les teintes dorées de son crépuscule du soir, au moment où a lieu le coucher du soleil ; ni les temps de ses foules agitées, ni les époques de ses joies célèbres. Du reste, il a particularisé suffisamment les faits, celui qui a dit de Damas : "Je l'ai trouvé tel que les langues le décrivent, et l'on y voit tout ce que l'esprit peut désirer et tout ce qui peut plaire aux yeux". »

Ibn Djozay reprend : « Ce que les poètes ont dit touchant la des-cription des beautés de Damas est si nombreux qu'on ne saurait s'en rendre compte. Mon père récitait fréquemment les vers suivants sur cette ville, lesquels sont de Cherf eddîn, fils de Mohcin 472 : p208

Et Damas ! j'éprouve pour lui un penchant qui me tourmente, bien qu'un dénonciateur m'importune, ou qu'un critique me presse. C'est une contrée dont les cailloux sont des perles, la terre de l'ambre gris, et les souffles du nord comme un vin frais. L'eau y coule bruyamment des lieux élevés et figure des chaînes : et tout le monde peut en disposer. Le vent des vergers y est sain, quoique faible.

« Ces vers appartiennent, ajoute Ibn Djozay, à un monde de poésie sublime. »

Le poète Arkalah eddimachky elkelby 473 a dit, au sujet de cette ville : Ibn Battûta — Voyages 171 I. De l'Afrique du Nord à La Mecque

474 Jeu de mots entre Sham, le mot arabe pour Damas, et shama, grain de beauté.

475 Djilliq fut célébrée dans la poésie arabe comme résidence des princes Ghassa-nides, souverains arabes d'avant l'islam. Bien qu'elle soit identifiée avec la localité d'al-Kiswa à une quinzaine de kilomètres au sud de Damas, elle est utilisée par les poètes comme équivalent de la Ghuta, la campagne de Damas.

476 Voir chap. 2, n. 95.

477 Poète damascène né en 1110.

478 Nom donné au Tigre et également à la partie ouest de Bagdad.

479 1135-1199. Secrétaire de Saladin et homme de lettres réputé.

Damas est le grain de beauté de la joue du monde 474, de même que Djil-lik 475 offre l'image de sa pupille langoureuse. Son myrte te présente un paradis sans fin, et son anémone une géhenne qui ne brûle pas.

Le même auteur a dit encore sur cette ville :

Quant à Damas, c'est un paradis anticipé pour ceux qui visitent cette ville. On y voit et les garçons 476 et les houris. Le son que la lune y fait entendre sur ses cordes imite le chant de la tour-terelle et du merle. Et les cottes de mailles que les doigts des vents p209 entrelacent sur l'eau ! Combien elles sont belles !... Malheureusement, ce n'est qu'une illusion.

Ce poète a composé beaucoup d'autres vers sur Damas. Voici maintenant, sur cette ville, ce qu'a écrit Abou'louahch Séba', fils de Khalk elaçady 477 :

Dieu veuille abreuver Damas par une nuée bienfaisante, qui verse sur cette ville une pluie abondante et continue ! Dans le monde tout entier et dans ses horizons, rien n'égale la beauté de cette ville. La Zaourâ 478 de l'Irâk préférerait faire partie de Damas, au lieu d'appartenir à la Chaldée. Son sol est aussi beau que le ciel, et ses fleurs sont comme les points lumi-neux qui brillent à son orient. Le zéphyr de ses parterres, toutes les fois qu'il s'agite au soir, délivre du poids de ses peines l'homme soucieux. Le printemps réside joyeusement dans les habitations de ce pays ; et l'univers est entraîné vers ses marchés. Ni les yeux ni l'odorat ne se fatiguent jamais de la vue de Damas et de l'aspiration de ses parfums.

Parmi les poésies analogues aux morceaux précédents, voici des vers que l'excellent kâdhi Abd errahîm elbeïçâny 479 a composés sur Ibn Battûta — Voyages 172 I. De l'Afrique du Nord à La Mecque

480 Ibn Munir (1080-1153), un des poètes syriens importants du XIIe siècle.

481 Le quartier situé à l'est de la Grande Mosquée.

482 Voir n. 88.

483 « Nous avons révélé à Moïse, lorsque son peuple lui demanda à boire : "Frappe le rocher avec ton bâton" ; douze sources en jaillirent » (Coran, VII, 160).

cette ville, et qui font partie d'un long poème. On prétend aussi que ce poème est l'ouvrage d'Ibn Elmonîr 480.

Ô éclair ! veux-tu être porteur d'un salut qui soit doux et agréable comme ton eau limpide ? Visite Damas de bon matin avec les longs roseaux de p210 la pluie ; et les fleurs de ses vergers, qui semblent incrustées d'or et de pierreries, ou cou-ronnées. Etends sur le quartier de Djeïroûn 481 ta robe de nuages, et surtout au-dessus d'une demeure qui est toute couverte de noblesse ; Où la fertilité du printemps a répandu tous ses dons ; et les ondées printa-nières ont orné le pâturage.

Voici ce que dit, sur cette ville, Abou'lhaçan Aly, fils de Moûça, fils de Sa'îd el'ansy, elgharnâthy, appelé Noûr eddîn 482 :

Damas, notre demeure, où le bonheur se montre parfait, tandis que, par-tout ailleurs, il est incomplet. Les arbres dansent, et les oiseaux chantent ; les plantes y sont élevées, et les eaux coulent en pente. Grâce aux plaisirs qu'on y éprouve, les visages des habitants resplendis-sent ; ils sont seulement cachés par les ombrages des grands arbres. Chaque fleuve qu'on y voit a un Moïse qui le fait couler 483, et chaque ver-ger qu'il possède sur ses bords est orné d'une belle verdure.

Il dit encore, sur le même sujet :

Fixe ta demeure à Djillik, entre la coupe et la corde des instruments, dans un jardin qui remplit de satisfaction l'ouie et la vue. Fais jouir tes yeux de la contemplation de ses beautés ; et exerce la pensée entre les parterres et le fleuve. Regarde à Damas les teintes dorées qu'y revêt le soir, et écoute les mélo-dies des oiseaux sur les arbres. Et dis à celui qui blâme un homme de ses plaisirs : p211 « Laisse-moi, car, à mes yeux, tu ne fais pas partie des êtres humains. »

Il dit également à propos de Damas : Ibn Battûta — Voyages 173 I. De l'Afrique du Nord à La Mecque

Cette ville est un paradis dans lequel l'étranger oublie son pays natal. Mon Dieu ! Qu'ils sont agréables les jours du samedi à Damas, et que leur coup d'oeil est magnifique ! Vois de tes propres yeux ; aperçois-tu autre chose qu'un objet aimé, ou un individu qui aime, Dans la demeure où l'on entend les colombes roucouler sur le rameau qui danse ? Et l'on voit au matin les fleurs de ce séjour heureux s'enorgueillir de joie et de bonheur.

Les gens de Damas ne font aucun ouvrage le samedi mais ils se rendent dans les lieux de plaisance, sur les bords des fleuves et sous l'ombre des grands arbres, entre les jardins fleuris et les eaux couran-tes, et ils y restent tout le jour, jusqu'à l'arrivée de la nuit.

« Nous nous sommes entretenus longtemps, continue Ibn Djozay, des belles qualités de Damas. Or, revenons maintenant au récit du cheïkh Abou Abd Allah. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANECDOTE

J’ai vu dans les jours de la grande peste à Damas, à la fin du mois de rabî’ second de l’année quarante-neuf 575, un témoignage du res-pect des habitants de Damas pour cette mosquée, qui est digne d’admiration, et dont voici le détail : le roi des émirs, lieutenant du sultan, Arghoûn châh 576, ordonna à un crieur de p234 proclamer dans Damas que tout le monde eût à jeûner pendant trois jours, et que per-sonne ne fit cuire alors dans les marchés rien de ce qui sert à la nourri-ture de l’homme tout le long du jour. (Or, à Damas, la plupart des ha-bitants ne mangent que ce qu’on prépare dans les marchés.) Les Da-masquins jeûnèrent trois jours consécutifs, dont le dernier était un jeudi. Ensuite les émirs, les chérîfs, les kâdhis, les fakîhs et les autres ordres se réunirent tous pêle-mêle dans cette mosquée principale, au point qu’elle fut comble. Ils y passèrent la nuit du jeudi au vendredi, en priant, louant Dieu, et faisant des voeux. Ils firent après cela la prière de l’aurore, et tous sortirent à pied, tenant dans leurs mains des Corans ; et les émirs étaient nu-pieds.

574 D’après un hadith reporté par Bukhari, Muhammad aurait dit que le tombeau de Moïse se trouvait sous la colline de sable rouge (al-kathib al-ahmar). Ce lieu est habituellement identifié à une localité située au sud-ouest de Jéricho (Ariha) où Baybars avait bâti une mosquée en 1270.

575 Juillet 1348, où pendant la peste noire Ibn Battûta se trouvait à Damas (voir t. III, p. 354 et suiv.).

576 Mort en 1349. Ibn Battûta — Voyages 193 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

Tous les habitants de la ville, hommes, femmes, petits et grands prirent part à cette procession. Les Juifs sortirent avec leur Pentateu-que et les chrétiens avec leur Évangile, et ils étaient suivis de leurs femmes et de leurs enfants. Tous pleuraient, suppliaient, et cher-chaient un recours près de Dieu, au moyen de ses livres et de ses pro-phètes. Ils se rendirent à la mosquée Elakdâm, et ils y restèrent, oc-cupés à supplier et à invoquer Dieu, jusque vers le zaouâl 577. Ensuite ils retournèrent à la ville, ils firent la prière du vendredi, et Dieu les soulagea.

Le nombre des morts n’a pas atteint à Damas deux mille dans un jour, tandis qu’au Caire et à Misr il a été de vingt-quatre mille dans un seul jour.

Auprès de la porte orientale de Damas, il y a une tour de couleur blanche, et l’on dit que c’est près de là que descendra Jésus, suivant ce qui nous a été transmis dans le Sahîb de Moslim 578. p235

DESCRIPTION DES FAUBOURGS DE DAMAS

Cette ville est entourée de faubourgs de tous les côtés, à l’exception du côté oriental ; ils couvrent un vaste emplacement, et leur intérieur est plus beau que celui de Damas, à cause du peu de lar-geur dans les rues de cette ville. Du côté du nord est le faubourg d’Essâlihiyah 579 ; c’est une grande ville qui possède un marché sans pareil pour la beauté. Elle a une mosquée cathédrale et un hôpital ; elle a aussi un collège, nommé le collège d’Ibn Omar 580, lequel est consacré à ceux qui veulent apprendre le noble Coran, sous la direc-tion des docteurs et des hommes âgés. Les disciples et les professeurs reçoivent ce qui leur est nécessaire, soit en nourriture, soit en habille-ments. Dans l’intérieur de la ville, il y a encore un collège qui a la

577 Temps de midi à trois heures.

578 Pour la tour, voir n. 261, et pour Muslim introduction, n. 11.

579 « En face de la ville, sur les pentes du mont Qasyun, se trouve la cité des Sali-hyin qui s’étend sur le penchant de la montagne en face de la ville en lon-gueur, de façon à dominer Damas et sa Ghuta, ses maisons, ses écoles, ses couvents, ses souks, constructions importantes » (QALQASHANDI, env. 1400).

580 Collège et couvent fondés par Abu Omar, Hanbalite émigré de Jérusalem, qui a également fondé le faubourg. Ibn Battûta — Voyages 194 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

même destination, et qui est appelé le collège d’Ibn Monaddjâ 581. Les gens d’Essâlihiyah suivent tous le rite de l’imâm Ahmed, fils de Han-bal.

DESCRIPTION DE KÂCIOÛN ET DE SES LIEUX DE PÈLERINAGE

Kâcioûn est une montagne au nord de Damas, et au pied de la-quelle se voit Sâlihiyah. C’est une montagne célèbre par son caractère de sainteté, car c’est l’endroit d’où les prophètes se sont élevés au ciel. Parmi ses nobles lieux de pèlerinage est la caverne où naquit Abra-ham, l’ami de Dieu 582. C’est une grotte longue et p236 étroite, près de laquelle existe une grande mosquée, avec un minaret élevé. De cette caverne Abraham a vu l’étoile, la lune et le soleil, ainsi que nous l’apprend le Livre sublime 583.

A l’extérieur de la grotte se voit le lieu de repos d’Abraham, où il avait coutume de se rendre. J’ai pourtant vu dans le pays de l’Irâk un village nommé Bors, entre Elhillah et Baghdâd, et où on dit qu’Abraham est né. Il est situé dans le voisinage de la ville de Dhou’lkefl (possesseur de jeûne ; ou l’homme aux mortifications, sur qui soit le salut !), et son tombeau s’y trouve 584.

Un autre sanctuaire du mont Kâcioûn, situé à l’occident, est la grotte du Sang 585 ; au-dessus d’elle, dans la montagne, se voit le sang d’Abel, fils d’Adam. Dieu en a fait rester dans la pierre une trace vermeille juste à l’endroit où son frère l’a tué et d’où il l’a traîné jus-qu’à la caverne. On dit qu’Abraham, Moise, Jésus, Job et Lot ont prié

581 Nommé d’après son premier cheikh, Zaïn al-Din ibn al-Munadja, mort en 1296.

582 « Le lieu de naissance d’Abraham est au pied du mont Qasyun en un village appelé Barca, qui est des plus jolis » (IBN DJUBAIR, 1184). Lieu de pèlerinage visité encore à l’époque actuelle.

583 Coran, VI, 76-78.

584 Le tombeau, situé près de Hilla (le nom de Bors n’est pas attesté par les autres sources, à moins qu’il ne soit lié au site antique de Borsippa, situé un peu plus au nord), est celui d’Ezéchiel, identifié avec le prophète Dhu’l Kifl cité dans le Coran. Le lieu de naissance traditionnel d’Abraham est Kutha Rabba en Irak.

585 « La grotte du Sang où l’on dit que Habil [Abel] fut tué par Qabil [Cain] » (AL-HARAWI). Pèlerinage conservé. Ibn Battûta — Voyages 195 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

dans cette grotte. Près d’elle il y a une mosquée solidement construite, à laquelle on monte par un escalier, et qui possède des cellules et au-tres endroits commodes à habiter. On l’ouvre tous les lundis et les jeudis, et des bougies et des lampes sont allumées dans la caverne.

Un autre lieu qu’on visite est une vaste grotte au sommet de la montagne, que l’on nomme la « caverne d’Adam 586, et à côté de la-quelle il y a un édifice. Plus bas que cette grotte, il en existe une autre, qu’on appelle p237 la grotte de la Faim 587. On dit que soixante et dix prophètes s’y sont réfugiés, et qu’ils n’avaient pour toute provision qu’un pain rond et mince. Ils le faisaient circuler parmi eux, et chacun l’offrait à son compagnon, de sorte qu’ils moururent tous. Près de cette caverne il y a une mosquée bien bâtie, et où des lampes brûlent nuit et jour. Toutes ces mosquées possèdent en propre beaucoup de fondations pieuses. On dit encore que, entre la porte des jardins et la mosquée principale du Kâcioûn 588, se trouve le lieu d’inhumation de sept cents prophètes, et, d’après une autre version, de soixante et dix mille prophètes.

Au-dehors de la ville se voit le vieux cimetière ; c’est le lieu de sé-pulture des prophètes et des saints. A côté de ce cimetière, tout près des jardins, est un terrain déprimé, dont l’eau s’est emparée, et l’on dit que c’est la sépulture de soixante et dix prophètes. Mais l’eau séjourne dans cet endroit d’une manière permanente, et l’on ne peut plus y en-terrer personne.

DESCRIPTION DE LA COLLINE ET DES VILLAGES QUI LAVOISINENT

En haut du mont Kâcioûn est la colline bénie 589, mentionnée dans le Livre de Dieu, et qui possède la stabilité, la source d’eau pure, et

586 « La grotte d’Adam où il vécut et que l’on connaît maintenant comme la Ca-verne (al-Kahf) » (AL-HARAWI). Plus connue actuellement sous le nom de ca-verne de Sept Dormants et signalée par un groupe de constructions anciennes.

587 « La grotte de la Faim, où moururent, dit-on, quarante prophètes et qui a son histoire » (AL-HARAWI). Lieu de pèlerinage conservé sous le nom de Qubbat al-Arbain.

588 Mauvaise copie du texte d’Ibn Djubair qui dit « montagne de Qasyun ».

589 Le texte original d’Ibn Djubair dit plus justement : « A l’extrémité de cette montagne et au commencement de la plaine [...] s’élève la colline bénie. » Ibn Battûta — Voyages 196 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

 

 

 

 

 

 

ANECDOTE

J’ai vu dans les jours de la grande peste à Damas, à la fin du mois de rabî’ second de l’année quarante-neuf 575, un témoignage du res-pect des habitants de Damas pour cette mosquée, qui est digne d’admiration, et dont voici le détail : le roi des émirs, lieutenant du sultan, Arghoûn châh 576, ordonna à un crieur de p234 proclamer dans Damas que tout le monde eût à jeûner pendant trois jours, et que per-sonne ne fit cuire alors dans les marchés rien de ce qui sert à la nourri-ture de l’homme tout le long du jour. (Or, à Damas, la plupart des ha-bitants ne mangent que ce qu’on prépare dans les marchés.) Les Da-masquins jeûnèrent trois jours consécutifs, dont le dernier était un jeudi. Ensuite les émirs, les chérîfs, les kâdhis, les fakîhs et les autres ordres se réunirent tous pêle-mêle dans cette mosquée principale, au point qu’elle fut comble. Ils y passèrent la nuit du jeudi au vendredi, en priant, louant Dieu, et faisant des voeux. Ils firent après cela la prière de l’aurore, et tous sortirent à pied, tenant dans leurs mains des Corans ; et les émirs étaient nu-pieds.

574 D’après un hadith reporté par Bukhari, Muhammad aurait dit que le tombeau de Moïse se trouvait sous la colline de sable rouge (al-kathib al-ahmar). Ce lieu est habituellement identifié à une localité située au sud-ouest de Jéricho (Ariha) où Baybars avait bâti une mosquée en 1270.

575 Juillet 1348, où pendant la peste noire Ibn Battûta se trouvait à Damas (voir t. III, p. 354 et suiv.).

576 Mort en 1349. Ibn Battûta — Voyages 193 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

Tous les habitants de la ville, hommes, femmes, petits et grands prirent part à cette procession. Les Juifs sortirent avec leur Pentateu-que et les chrétiens avec leur Évangile, et ils étaient suivis de leurs femmes et de leurs enfants. Tous pleuraient, suppliaient, et cher-chaient un recours près de Dieu, au moyen de ses livres et de ses pro-phètes. Ils se rendirent à la mosquée Elakdâm, et ils y restèrent, oc-cupés à supplier et à invoquer Dieu, jusque vers le zaouâl 577. Ensuite ils retournèrent à la ville, ils firent la prière du vendredi, et Dieu les soulagea.

Le nombre des morts n’a pas atteint à Damas deux mille dans un jour, tandis qu’au Caire et à Misr il a été de vingt-quatre mille dans un seul jour.

Auprès de la porte orientale de Damas, il y a une tour de couleur blanche, et l’on dit que c’est près de là que descendra Jésus, suivant ce qui nous a été transmis dans le Sahîb de Moslim 578. p235

DESCRIPTION DES FAUBOURGS DE DAMAS

Cette ville est entourée de faubourgs de tous les côtés, à l’exception du côté oriental ; ils couvrent un vaste emplacement, et leur intérieur est plus beau que celui de Damas, à cause du peu de lar-geur dans les rues de cette ville. Du côté du nord est le faubourg d’Essâlihiyah 579 ; c’est une grande ville qui possède un marché sans pareil pour la beauté. Elle a une mosquée cathédrale et un hôpital ; elle a aussi un collège, nommé le collège d’Ibn Omar 580, lequel est consacré à ceux qui veulent apprendre le noble Coran, sous la direc-tion des docteurs et des hommes âgés. Les disciples et les professeurs reçoivent ce qui leur est nécessaire, soit en nourriture, soit en habille-ments. Dans l’intérieur de la ville, il y a encore un collège qui a la

577 Temps de midi à trois heures.

578 Pour la tour, voir n. 261, et pour Muslim introduction, n. 11.

579 « En face de la ville, sur les pentes du mont Qasyun, se trouve la cité des Sali-hyin qui s’étend sur le penchant de la montagne en face de la ville en lon-gueur, de façon à dominer Damas et sa Ghuta, ses maisons, ses écoles, ses couvents, ses souks, constructions importantes » (QALQASHANDI, env. 1400).

580 Collège et couvent fondés par Abu Omar, Hanbalite émigré de Jérusalem, qui a également fondé le faubourg. Ibn Battûta — Voyages 194 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

même destination, et qui est appelé le collège d’Ibn Monaddjâ 581. Les gens d’Essâlihiyah suivent tous le rite de l’imâm Ahmed, fils de Han-bal.

DESCRIPTION DE KÂCIOÛN ET DE SES LIEUX DE PÈLERINAGE

Kâcioûn est une montagne au nord de Damas, et au pied de la-quelle se voit Sâlihiyah. C’est une montagne célèbre par son caractère de sainteté, car c’est l’endroit d’où les prophètes se sont élevés au ciel. Parmi ses nobles lieux de pèlerinage est la caverne où naquit Abra-ham, l’ami de Dieu 582. C’est une grotte longue et p236 étroite, près de laquelle existe une grande mosquée, avec un minaret élevé. De cette caverne Abraham a vu l’étoile, la lune et le soleil, ainsi que nous l’apprend le Livre sublime 583.

A l’extérieur de la grotte se voit le lieu de repos d’Abraham, où il avait coutume de se rendre. J’ai pourtant vu dans le pays de l’Irâk un village nommé Bors, entre Elhillah et Baghdâd, et où on dit qu’Abraham est né. Il est situé dans le voisinage de la ville de Dhou’lkefl (possesseur de jeûne ; ou l’homme aux mortifications, sur qui soit le salut !), et son tombeau s’y trouve 584.

Un autre sanctuaire du mont Kâcioûn, situé à l’occident, est la grotte du Sang 585 ; au-dessus d’elle, dans la montagne, se voit le sang d’Abel, fils d’Adam. Dieu en a fait rester dans la pierre une trace vermeille juste à l’endroit où son frère l’a tué et d’où il l’a traîné jus-qu’à la caverne. On dit qu’Abraham, Moise, Jésus, Job et Lot ont prié

581 Nommé d’après son premier cheikh, Zaïn al-Din ibn al-Munadja, mort en 1296.

582 « Le lieu de naissance d’Abraham est au pied du mont Qasyun en un village appelé Barca, qui est des plus jolis » (IBN DJUBAIR, 1184). Lieu de pèlerinage visité encore à l’époque actuelle.

583 Coran, VI, 76-78.

584 Le tombeau, situé près de Hilla (le nom de Bors n’est pas attesté par les autres sources, à moins qu’il ne soit lié au site antique de Borsippa, situé un peu plus au nord), est celui d’Ezéchiel, identifié avec le prophète Dhu’l Kifl cité dans le Coran. Le lieu de naissance traditionnel d’Abraham est Kutha Rabba en Irak.

585 « La grotte du Sang où l’on dit que Habil [Abel] fut tué par Qabil [Cain] » (AL-HARAWI). Pèlerinage conservé. Ibn Battûta — Voyages 195 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

dans cette grotte. Près d’elle il y a une mosquée solidement construite, à laquelle on monte par un escalier, et qui possède des cellules et au-tres endroits commodes à habiter. On l’ouvre tous les lundis et les jeudis, et des bougies et des lampes sont allumées dans la caverne.

Un autre lieu qu’on visite est une vaste grotte au sommet de la montagne, que l’on nomme la « caverne d’Adam 586, et à côté de la-quelle il y a un édifice. Plus bas que cette grotte, il en existe une autre, qu’on appelle p237 la grotte de la Faim 587. On dit que soixante et dix prophètes s’y sont réfugiés, et qu’ils n’avaient pour toute provision qu’un pain rond et mince. Ils le faisaient circuler parmi eux, et chacun l’offrait à son compagnon, de sorte qu’ils moururent tous. Près de cette caverne il y a une mosquée bien bâtie, et où des lampes brûlent nuit et jour. Toutes ces mosquées possèdent en propre beaucoup de fondations pieuses. On dit encore que, entre la porte des jardins et la mosquée principale du Kâcioûn 588, se trouve le lieu d’inhumation de sept cents prophètes, et, d’après une autre version, de soixante et dix mille prophètes.

Au-dehors de la ville se voit le vieux cimetière ; c’est le lieu de sé-pulture des prophètes et des saints. A côté de ce cimetière, tout près des jardins, est un terrain déprimé, dont l’eau s’est emparée, et l’on dit que c’est la sépulture de soixante et dix prophètes. Mais l’eau séjourne dans cet endroit d’une manière permanente, et l’on ne peut plus y en-terrer personne.

DESCRIPTION DE LA COLLINE ET DES VILLAGES QUI LAVOISINENT

En haut du mont Kâcioûn est la colline bénie 589, mentionnée dans le Livre de Dieu, et qui possède la stabilité, la source d’eau pure, et

586 « La grotte d’Adam où il vécut et que l’on connaît maintenant comme la Ca-verne (al-Kahf) » (AL-HARAWI). Plus connue actuellement sous le nom de ca-verne de Sept Dormants et signalée par un groupe de constructions anciennes.

587 « La grotte de la Faim, où moururent, dit-on, quarante prophètes et qui a son histoire » (AL-HARAWI). Lieu de pèlerinage conservé sous le nom de Qubbat al-Arbain.

588 Mauvaise copie du texte d’Ibn Djubair qui dit « montagne de Qasyun ».

589 Le texte original d’Ibn Djubair dit plus justement : « A l’extrémité de cette montagne et au commencement de la plaine [...] s’élève la colline bénie. » Ibn Battûta — Voyages 196 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

l’habitation du Messie Jésus et de sa mère 590. C’est un des plus jolis points de vue du monde et un de ses plus beaux lieux de plaisance. p238 On y trouve des palais élevés, de nobles édifices et des jardins admi-rables. L’habitation bénie est une petite grotte au milieu de la colline, à l’instar d’un petit logement, et en face est une cellule qu’on dit avoir été l’oratoire de Khidhr 591. La foule s’empresse à l’envi de venir prier dans cette caverne. L’habitation est pourvue d’une petite porte de fer, et la mosquée l’entoure. Celle-ci renferme des allées circulaires, et un beau réservoir où l’eau descend ; après quoi, elle se déverse dans un conduit qui se trouve dans le mur, et qui communique à un bassin de marbre dans lequel l’eau tombe. Ce dernier n’a pas de pareil pour sa beauté et la singularité de sa structure. Près de cette fontaine, il y a des cabinets pour faire les ablutions, et où l’eau coule.

Cette colline bénie est comme la tête des jardins de Damas, car elle possède les sources qui les arrosent 592. Celles-ci se partagent en sept canaux, dont chacun se dirige d’un côté différent. Cet endroit s’appelle le lieu des divisions. Le plus grand de ces canaux est celui qui est nommé Tourah. Il coule au-dessous de la colline, et on lui a creusé dans la pierre dure un lit qui ressemble à une grande ca-verne 593. Souvent quelque nageur audacieux plonge dans le canal, du haut de la colline, et il est entraîné dans l’eau, jusqu’à ce qu’il ait par-couru le p239 canal souterrain, et qu’il en sorte au bas de la colline : et c’est là une entreprise fort périlleuse.

590 Référence au Coran (XXIII, 52) déjà citée (voir n. 174), réfutée par al-Harawi qui remarque que Jésus n’a jamais visité Damas.

591 Personnage mythique de la légende musulmane qui, soit, est identifié au pro-phète Élie, d’où son immortalité, soit forme avec lui un couple en s’identifiant à saint Georges.

592 Ici Ibn Battûta s’écarte d’Ibn Djubair et se trompe. Ce dernier dit : « Sur cette colline bénie commencent les premiers jardins de la ville, là où la rivière se divise en sept branches, dont chacune prend sa route propre » (voir n. suiv.).

593 « Damas et ses jardins sont arrosés par un cours d’eau appelé Barada [...] l’eau jaillit d’une fente, du bord extrême du pied de la montagne, et sa sortie est voûtée d’une arcade de construction romaine ; elle est accrue par des sources le long de son parcours. Puis la rivière se divise en sept branches, quatre à l’ouest qui sont le Daraya, le Mizza, le Qanawat, le Banas et deux à l’est le Yazid et le Thawra [Tourah], entre lesquels coule le Barada. [...] Le Thawra est le Nil de Damas sur ses bords s’élèvent les principales constructions et la plupart des pavillons de plaisance des habitants » (QALQASHANDI, env. 1400). Ibn Battûta — Voyages 197 I. De l’Afrique du Nord à La Mecque

Cette colline domine les jardins qui entourent la ville, et sa beauté et l’étendue du champ de délices qu’elle offre aux regards sont in-comparables. Les sept canaux dont nous avons parlé suivent tous des directions différentes. Les yeux demeurent éblouis de la beauté de leur ensemble, de leur séparation, de leur courant et de leur effusion. En somme, la grâce de la colline et sa beauté parfaite sont au-dessus de tout ce qu’on peut exprimer par une description.

Elle possède beaucoup de legs pieux en champs cultivés, en ver-gers et en maisons, au moyen desquels on sert les traitements de l’imâm, du moueddhin et l’on défraye les voyageurs.

Installation dans la ville verte, gorgée d'eau du Barada au goût d'abricotier, de figuier et d'olivier ,  délicatement sucrée de roses, ombragée de cyprès ......

Vue de la ville Damas lorsque j'enseignais à la mosquée des Omeyyades, 1860

Dans la majestueuse mosquée des Omeyyades, j'ai enseigné la tolérance, le partage, l'étude du  Coran, le dialogue des religions, le dialogue des cultures entre les nations.

Une visite dans le souk el Hamidiyé Damas à l'époque où je vivais dans cette ville.

 

café le long du Barada , vie sociale , culturelle, philosophique , à la manière de Platon.

 

 

 



07/12/2008
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 59 autres membres