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CHEIKH MOHAMED IBN YELLÈS ET-TILIMÇANI L’exode en Syrie

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CHEIKH MOHAMED IBN YELLÈS ET-TILIMÇANI L’exode en Syrie

6 mars 2012

Kamel BOUCHAMA

 

Dimanche 27 Novembre 2011

Par Kamel BOUCHAMA

Tlemcen, ville natale de cheikh Mohamed Ibn Yellès Et-Tilimçani
Tlemcen, ville natale de cheikh Mohamed Ibn Yellès Et-Tilimçani

Cheikh Mohamed Ibn Yellès a rendu l’âme le 26 décembre 1927 à Damas, non sans combattre ouvertement et… vertement les Français.

Quand nous voulons aller très loin dans la genèse de l’émigration algérienne en Bilâd ec-Shâm, avant et au début de la colonisation de notre pays, nous risquons d’être fastidieux, tant les raisons qui ont poussé les nôtres à refuser le diktat colonial et aller vivre sous des cieux plus cléments, plutôt que de rester pour s’impliquer et défendre un système auquel ils ne s’identifiaient nullement, sont justes, pertinentes et nombreuses. Les exodes en Syrie, principalement…, il y en a eu. Ils ne se sont jamais arrêtés depuis notre participation à la libération de Jérusalem au XIIe siècle. Ainsi, depuis cette date, notre communauté algérienne en Bilâd ec-Shâm, ayant été constituée par cette émigration segmentaire, n’a pas cessé de se consolider, de se cristalliser et de produire ce qui devait lui donner toute sa fierté et sa crédibilité.

Cheikh Mohamed Ibn Yellès s’élève contre la France coloniale
Aujourd’hui, nous allons voir un des aspects de cette émigration, en la personne d’un grand érudit de notre pays qui a eu à s’impliquer contre les Français, à la suite des projets de conscription des musulmans. Cette personne n’est autre que le Cheikh Mohamed Ibn Yellès Ibn Chaouiche – ses parents étaient connus par ce nom – qui a vu le jour à Tlemcen en 1847, cette année où l’Emir Abdelkader devait cesser le combat contre les Français. Il a été le disciple des Cheikhs Mohamed El Bouzidi, Mohamed El Hebri, Ahmed Ibn Mustapha Allioua. Quant à l’événement, il est de taille…, certainement méconnu par la plupart des Algériens auxquels nous n’avons pas encore enseigné leur Histoire, depuis cinquante années de souveraineté nationale. Mais il n’est pas trop tard pour bien faire, d’autant que Tlemcen, Capitale de la culture islamique pour cette année, accueillera du 26 au 30 novembre le «Premier Colloque international du Cheikh Mohamed Ibn Yellès Et-Tilimçani» pour le Centenaire de son exil – el Hidjra – à Damas (1911-2011). De quel événement s’agit-il? Eh bien, au moment où il a été décidé par les autorités françaises d’appeler les Algériens sous les drapeaux, le pays a connu une forte émigration de toutes les régions en 1911, principalement de Tlemcen qui s’était distinguée, à l’époque, du reste des autres émigrations par le nombre. Plus de 200 familles (soit un total de 3000 personnes environ) ayant quitté le pays en même temps, dans un mouvement collectif. A leur tête, le non moins célèbre et vénéré, l’incontournable Cheikh Ibn Yellès, ou Benyellès, patron de la Confrérie «Derqaouia». Oui, le vénéré Cheikh, celui qui alliait le combat à la science et qui a préféré se retirer dans un pays où l’Islam se pratiquait librement, loin de l’oppression et de l’avilissement. «La loi de 1910, décrétant la mobilisation militaire venait de surprendre la quiétude promise par la France aux Indigènes – les citoyens algériens s’appelaient ainsi par la France coloniale – et les chefs religieux Cheikh Benyellès et le muphti Chalabi de la grande mosquée s’en prenaient à cette décision unilatérale, drastique et entreprenaient une série de prêches incendiaires à partir des zaouias et des mosquées.» (1)
Ainsi, les jeunes, sensibilisés par Cheikh Mohamed Ibn Yellès, ont refusé catégoriquement de servir sous le drapeau français. Ils ont refusé de s’impliquer dans les guerres qui étaient à nos portes, et pour lesquelles les colonialistes préparaient de la bonne «chair à canon», notamment à la Première Guerre mondiale dont les prémices s’annonçaient déjà de par les rumeurs et les alliances qui se tissaient çà et là. Mais avant cette grande calamité, les jeunes Algériens ne voulaient pas participer à la guerre italo-turque de 1911-1912, comme ils ne voulaient pas participer à la colonisation d’un autre pays frère, le Maroc, en 1912, colonisation qui est intervenue pendant la fin du règne du sultan Abdelhamid II. Cheikh Ibn Yellès a déclaré «la tenue militaire française apostasie». Tout Tlemcen était en effervescence et sa population d’ordinaire calme, car éduquée et civilisée, ne pouvait contenir cette offense faite aux assurances données par la France à l’Emir Abdelkader, et qui stipulaient la non-incorporation des Algériens au service militaire. Voilà l’aspect combattant de cet érudit. Ce qui lui a valu d’ailleurs l’exil en Syrie.
Certains historiens français ont dit de cette forte émigration de 1911 qu’elle a produit l’effet d’une grave épidémie et d’une épouvante inqualifiable et que la France n’a jamais eu à vivre des moments pareils en Algérie. C’est dire que cet exode de 1911 a fait couler tant d’encre et les Français ont écrit, déjà en ce temps, souvent en dépit du bon sens, pour traiter les migrants algériens de «hors-la-loi», en attendant de parer les combattants de la liberté de ce costume de «terroristes», pendant la lutte de Libération nationale. Cheikh Ibn Yellès n’est pas parti seul, en ce jour du 14 septembre 1911. Un grand monde l’a suivi, comme annoncé auparavant. Parmi ces familles, il y avait aussi le Caïd «Si Lakhdar» de Oued Chouli, un village tout près de Tlemcen. Un exemple significatif puisque le Caïd s’est rendu à Damas, sans titre de voyage, à la tête de 27 membres de sa famille. Mais ce qui a touché le plus les colonialistes, qui ne comprenaient pas ce revirement d’un des leurs…, soi-disant, c’est qu’il a mené une sérieuse campagne à partir de Damas, appelant les Algériens «à émigrer vers le Cham pour se débarrasser de la tyrannie des Français, en leur décrivant les avantages de ce pays, la générosité de ses habitants et l’intérêt du gouvernement pour les émigrants». (2) C’est dire aussi que la conscription, selon même les médias d’alors, n’était pas le seul motif d’émigration «tel que l’avaient prétendu certains Européens, mais que les causes étaient multiples et variées, découlant toutes des conditions misérables vécues par l’Algérien musulman, et la question de la conscription n’était que la goutte qui avait fait déborder le vase». (3) Ainsi, à la suite de ce mouvement qui ne plaisait plus aux Français – ils l’encourageaient pourtant, tout à fait au début de la colonisation, pour récupérer les terres par le fait du prince, dans le cadre du Senatus Consulte -, une autre politique s’était mise en application d’une façon subtile, pour aboutir à des conflits avec les émigrants d’une part et les Ottomans d’autre part. Restons-là, pour l’instant, car développer cette stratégie colonialiste nous prendrait beaucoup d’espace et de temps.

Le sanctuaire du «Ilm», à Damas
Dès son arrivée à Damas avec son élève Mohamed El Hachimi – qui aura une carrière aussi importante que celle de son maître – il s’était attelé à la science, à sa propagation au sein des masses qui demandaient toujours davantage et qui attendaient que l’on s’intéresse encore plus à leurs problèmes. Cheikh Ibn Yellès comprenait, puisqu’il venait d’Algérie où il vivait pratiquement les mêmes embarras de mainmise des plus forts, que dans ce pays qui était soumis à tant de pressions par des «indu occupants» venus d’Europe et qui n’avaient qu’un seul principe: comment s’accaparer cette opulente région du Shâm, puisqu’ils sentaient le déclin des Ottomans, qu’il fallait travailler durement et s’impliquer sur tous les fronts. Et pour arriver à cette mobilisation générale et consciente des masses, un seul moyen, celui de la culture et de l’élévation d’esprit. Ne soutenait-il pas constamment que la formation dans les domaines essentiels de la vie est l’arme la plus efficace pour construire une société qui saura se prendre en charge et par voie de conséquence se défendre contre tous les malheurs? Il insistait énormément sur la formation et l’éducation, et c’est ainsi que le gouverneur ottoman de Damas a dû céder à ses «assailles» en lui octroyant un grand établissement, la «Zaouia Es-Samâdiya» qui était dans un piteux état de délabrement, avec l’intention qu’il la prenne sérieusement en charge et qu’il la réhabilite pour reprendre sa mission d’antan. En effet, de ce dépôt de foin – parce que cette zaouia a été utilisée pour ce besoin – Cheikh Ibn Yellès a fait un sanctuaire du «Ilm», aidé par son disciple Mohamed El Hachimi qui était là, avec lui, pour le soutenir et le suppléer, le cas échéant, dans plusieurs missions. D’ailleurs, ils ont passé un bout de temps ensemble à Damas, avant d’être contraints de se séparer parce que les Ottomans, surtout du temps des restrictions imposées par leur administration touranienne, interdisaient aux émigrés maghrébins de se rassembler, pensant qu’ils étaient source de problèmes. Mais après deux ans de séparation, le disciple a pu retourner de Turquie, pour rejoindre son maître et continuer ensemble leur noble mission d’éducation. De cette tendance vers le sacrifice et le travail bien fait, les érudits et autres hommes du culte algériens, qui figuraient parmi les émigrés ou les exilés au Shâm, étaient très bien considérés et représentaient aux yeux des Syriens la crème du milieu spirituel. On les écoutait attentivement et on suivait sérieusement leurs prêches, leurs conseils et leurs sentences. Cheikh Mohamed Ibn Yellès, bien après l’Emir Abdelkader, en était l’illustre personnage dans ce domaine. Il perpétuait la tradition des prestigieux maîtres qui l’ont précédé, et qui venaient droit de ce Maghreb qui cachait des trésors inestimables de science et de culture. Avec lui et après, le Shâm a connu d’autres érudits, non moins illustres, qui se nommaient, excepté son élève Cheikh Mohamed El Hachemi, El Mahdi Es-Seklaoui, Tayeb El Moubarek, El Yacoubi, Saïd El Yennioui et autres, à travers une pléiade de grands intellectuels et de savants. Son activité intense a présidé au renforcement de bonnes relations, ou plutôt des liens fraternels, qui engageaient les Syriens à être plus concrets dans leur approche avec les Algériens et ainsi, cette atmosphère, où se dégageaient l’efficience et la volonté de partager, ne pouvait priver les hôtes de Damas et d’ailleurs des bienfaits d’une entente qui n’a jamais décliné. C’est dans tous les domaines que l’on remarquait ces gestes qui démontraient la disponibilité et l’hospitalité légendaire de ce peuple qui a été jusquà conforter et protéger toutes les associations, caritatives ou politiques, créées au profit des émigrés du Maghreb. N’était-ce pas pour ces bonnes raisons et d’autres certainement, bien perçues à travers les conditions objectives manifestées à ceux-là mêmes qui ont émigré depuis cette lutte implacable contre les croisés jusqu’aux dernières vagues d’après 1830, que l’Emir Abdelkader s’était détourné d’Alexandrie ou d’Istanbul pour élire domicile en cette terre accueillante? N’est-ce pas, également, pour toutes ces raisons que Cheikh Mohamed Ibn Yellès Et-Tilimçani ait choisi le Shâm, avec son ancestralité, et donc son Histoire millénaire et ses traditions hospitalières de grande facture?
Cheikh Mohamed Ibn Yellès a rendu l’âme le 26 décembre 1927 à Damas, non sans combattre ouvertement et… vertement les Français, en s’opposant à leurs manoeuvres et à leurs pratiques. Ces actions ne passaient pas inaperçues car, malgré son âge avancé, ils l’ont arrêté et emprisonné à la Citadelle qui servait de grand centre pénitentiaire. Et s’il n’y avait cette grandiose manifestation organisée par les nationalistes et à leur tête Cheikh Mohamed El-Mekki El-Kettani et Cheikh Badr Ed-Dine El-Hassani, et qui regroupait tous les militants et les adeptes du Cheikh ainsi qu’une bonne partie de la population de Damas – cela démontre son audience dans ce pays – il aurait péri suite au traitement qu’il subissait déjà, dès son arrestation. Alors, aux termes de cette longue vie de labeur, on est en droit de nous poser cette sempiternelle question: que peut-on dire encore de Cheikh Mohamed Ibn Yellès
Et-Tilimçani? Tout simplement que son oeuvre ne s’est pas estompée, après son décès à Damas, car ceux qui lui ont succédé, ont perpétué ses traditions, selon ses orientations, en combattant l’obscurantisme, l’hérésie et les aspects néfastes des confréries qui étaient encouragées du temps des Ottomans pour sauvegarder leurs propres intérêts. C’est dire que les Algériens ont introduit d’importantes notions modernes dans l’enseignement spirituel. Ceux qui sont venus après Cheikh Mohamed Ibn Yellès, notamment ses disciples, ont déployé toutes leurs forces pour contrecarrer les extrémistes fanatiques qui n’admettaient pas l’éducation des jeunes et principalement celle de la jeune fille. Heureusement, le combat cessa en leur faveur et des écoles ont été ouvertes pour enseigner la langue arabe, les rituels, les mathématiques, les langues française et ottomane. Cheikh Mohamed Ibn Yellès Et-Tilimçani, qui repose aujourd’hui au cimetière de Bab Seghir à Damas, a laissé une meilleure semence dans cette bonne tradition dans tous les établissements qui, de son temps, se remplissaient de monde, élèves, adeptes et même de simples citoyens, venus bénéficier de cours qu’on qualifiait, à l’époque, et à juste titre, de cours magistraux. En son temps, il comprenait, bien sûr, que la culture était le moyen le plus efficace pour sortir du néant et se mesurer aux grandes nations qui avançaient en prenant en charge, en les bonifiant bien sûr, les meilleures découvertes et les excellentes études que nos ancêtres ont laissées sur les tablettes de l’Histoire. N’est-ce pas un grand héritage qu’il a laissé dans ce pays où le savoir tient une place de choix? Et qu’a-t-il laissé encore? Un dernier mot peut-être…? Il a laissé un disciple, un grand, un très grand, que j’ai cité tout au long de ce papier. J’ai nommé Cheikh Mohamed El Hachimi, cet enfant né en 1881à Sebdou, qui a été beaucoup aimé pour son bon caractère et sa grande modestie. C’est ce disciple, celui qui a reçu des mains de son mentor le pacte d’initiation, «ahd», à la Confrérie «Darqawiya» (Chadouliya), qui continuera son oeuvre et qui lui restera fidèle en appliquant ses meilleures sentences et ses remarquables orientations. Ainsi, Cheikh Mohamed Ibn Yellès pouvait dormir tranquillement parce que son travail allait se poursuivre par un disciple distingué qui a su anoblir l’héritage de son maître. Et comment n’allait-il pas le poursuivre quand il était membre de l’Assemblée des savants qui se tenait à l’illustre Mosquée des Omeyyade (El-Masjid Al-Umawi)? Une grande marque de respect pour lui et pour cette Algérie qui, en ce temps, combattait inlassablement le colonialisme sur l’étendue de son territoire! Comment n’allait-il pas le poursuivre quand il ne cessait d’aborder avec les autres savants, les problèmes de la «Oumma», en insistant sur l’unité des musulmans et en mettant en garde les fidèles contre leur division? «Il a écrit à cet égard une épître où il rappelait les raisons de la division et ses effets néfastes, et la nécessité de se réunir sous la Parole d’Allâh et de s’agripper à la Sunnah de Son Messager, épître intitulée: «Al-Qawl Al-Fasl Al-Qawîm fi Bayân Al-Murâd min Wasiyyat Al-Hakîm. (4) N’est-ce pas enfin que celui qui produit…, ne meurt pas? K. B.

1- Paragraphe pris du Quotidien d’Oran du 9/11/2008, dans l’article: «Messali Hadj est le plus victime des héros» par Baghli Abdelouahab, député
2- «Immigration, Islam et eschatologie» par Mouloud Haddad (EHESS)
3- Ibid.
4- «Grandes Figures de l’Islam, Savants contemporains» traduit par El Mùrtada.




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