L'islam, l'émir Abdelkader et le droit humanitaire
« Quand on voit des personnes sans lumière s’imaginer que le principe de l’Islam est la dureté, la rigueur, l’extravagance et la barbarie, c’est l’occasion de répéter ces mots : la patience est une belle chose et c’est en Dieu qu’il faut chercher refuge ».
L’Emir Abdelkader
Le Maréchal Soult avait déclaré jadis :»Il n’y a présentement dans le monde que trois hommes auxquels on puisse légitimement accorder la qualification de « grands » et, tous trois appartiennent à l’Islam. Ce sont Abdelkader, Mahamet Ali et Chamyl ». L’emir Abdelkader El Djazaïri, a été une personnalité brillante tant sur le plan militaire que dans le domaine de l’humanitaire, ce qui laissa Bugeaud,l’illustre maréchal si infatué de sa personne, la loyauté de qualifier Abdelkader « d’homme de génie » du haut de la tribune de la Chambre des députés.Oui, cet illustre homme très attaché à sa religion , symbole de la tolérance, du respect de l’autrui et du rapprochement entre les religions du livre, prônait le dialogue de l’humanitaire entant que militaire et homme d’état. L’origine du droit international humanitaire, est souvent lié au code Lieber, loi martiale instauré lors de la guerre de sécession, connu sous le nom de « Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field ». Acte signé par le président Lincoln le 24 avril 1863, qui codifie l’attitude à adopter de la part des forces armées de l’Union pendant la Guerre de Sécession ou guerre civile. Le Lieber Code, définit la loi martiale, la juridiction militaire, le traitement des espions et des traîtres ainsi que des prisonniers de la guerre civile des Etats-Unis d’Amérique.
La loi martiale est l’effet et la conséquence immédiate et directe de l’occupation ou de la conquête. Le territoire occupé par l’ennemi est soumis à la loi martiale de l’armée d’invasion ou d’occupation, La loi martiale instaurée lors de la guerre civile des Etats-Unis d’Amérique a aboutit aux pires des exactions à l’encontre des populations civiles et des prisonniers. Il fallait sauver les Etats-Unis d’Amérique à n’importe quel prix. Peut-elle être prise comme modèle pour la rédaction des conventions de Genève ?
Dire, que bien avant le code Lieber, et pour sauvegarder la vie des prisonniers des champs de bataille, l’Emir Abdelkader qui défendait son pays contre l’occupant ( et qui avait toute la latitude d’instaurer la loi martiale avec ses représailles), promulgue en 1837 le décret sur la détention des prisonniers de guerre qui stipulait en particulier les dispositions suivantes :
1) Tout Français capturé au combat sera considéré comme prisonnier de guerre et sera traité en conséquence jusqu’à ce qu’une occasion s’offre pour son échange contre un prisonnier algérien.
2) Interdiction absolue de tuer un prisonnier désarmé.
3) Tout Arabe qui amènera un soldat français captif sain et sauf aura une récompense de 8 douros.
4) Tout Arabe ayant un Français en sa possession est tenu de le bien traiter. Dans le cas où le prisonnier aura à se plaindre de mauvais traitement, la récompense prévue pour l’avoir fait prisonnier sera supprimée sans préjudice d’autres sanctions.
Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Emir sont reconnus par ses ennemis. Il institue un règlement humanitaire pour ses prisonniers, dont sa mère s’en occupe avec une très grande sollicitude. Ainsi, lorsqu’en 1841, Mgr Dupuch, évêque d’Alger lui envoya une lettre demandant la libération d’un prisonnier, l’intendant Massot, ce dernier, retrouva sa liberté dignement, en lui remettant son fusil, des habits neufs de la nourriture et une lettre de l’Emir au Représentant de l’église, dans laquelle il écrit : « En tant que serviteur de Dieu et qu’ami d es hommes vous auriez dû me demander non la liberté d’un seul mais de tous les Chrétiens faits prisonniers ». Et d’ajouter en invoquant le Nouveau Testament « Faites aux Autres, ce que vous voudriez qu’on fit à vous-même » que l’évêque serait « deux fois digne de sa mission, s’il procurait un pareil bienfait à un nombre correspondant de musulmans languissant dans les geôles françaises ». La même année eut lieu à Sidi Khelifa , un échange de prisonniers entre les deux armées. Cette opération ne fût malheureusement pas renouvelée. La magnanimité de l’Emir a semé le doute au sein des officiers de l’Armée Française, allons jusqu’à éviter la procédure des échanges des prisonniers. Un des officiers supérieur (le colonel de Géry), a confié à Monseigneur Dupuch : « Nous sommes obligés de cacher, autant que nous le pouvons, ces choses à nos soldats, car s’ils le soupçonnaient, jamais ils ne combattraient avec autant d’acharnement ». Effectivement, le Roi Philippe ne donna aucune suite aux nouvelles propositions de L’Emir Abdelkader. Animé toujours d’une grande foi, et prônant le dialogue inter- religieux, l’Emir sollicité par la suite à l’évêque d’Alger la désignation d’un aumônier : « Envoyez un prêtre dans mon camp. Il ne manquera de rien. Je veillerai à ce qu’il soit honoré et respecté comme il convient à celui qui est revêtu de la noble dignité d’homme de dieu et de représentant de son Evêque. Il priera chaque jour avec les prisonniers, il les réconfortera, il correspondra avec leurs familles. Il pourra ainsi leur procurer le moyen de recevoir de l’argent, des vêtements, des livres, en un mot tout ce dont ils peuvent avoir le désir ou le besoin, pour adoucir les rigueurs de leur captivité ».
Afin de nourrir correctement les prisonniers, l’Emir était souvent obligé de libérer unilatéralement certains d’entres eux.
En détention, le trompette Escoffier a eu l’honneur et le privilège de voir l’Emir Abdelkader lui accroché en cérémonie officielle, la croix de la légion d’honneur , décernée par le Roi Philippe pour avoir sauvé son supérieur dans la bataille de Sidi Brahim. En ce temps là, la convention de Genève n’était pas encore née.
Précurseur du droit humanitaire en tant que chef militaire, l’Emir Abdelkader le fut aussi dans sa terre d’exil en Syrie. Il sauva en 1860, 13.000 Chrétiens de Damas d’une mort certaine aux mains de fanatiques. L’Emir et les siens firent face, au péril de leur vie, à une foule déchaînée. Ils refusèrent de leur céder les Chrétiens d’Orient réunis sous leur protection. Les consuls de France, d’Amérique, de Russie et de Grèce eurent également la vie sauve grâce au courage et à l’autorité morale dont jouissait l’Emir. Nombreux, sont les hommes politiques, militaires et religieux ( l’Imam Chamyl et l’évêque d’Alger) qui lui exprimèrent leur reconnaissance. L’Emir répondit qu’il ne méritait point d’éloge pour cela « n’ayant fait que son devoir ». Il n’avait agi de la sorte, précise-t-il « que par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité ».« La valeur de la contribution de l’Emir réside non tant dans son originalité par rapport à la pensée contemporaine que dans le rappel du fait qu’il fut le précurseur oublié de cette dernière. La vie et l’œuvre de cet homme emblématique sont d’autant plus pertinents que ses prises de position n’ont pas été conçues pour les besoins de la cause qui est présentement la nôtre. Elles l’anticipent pourtant, en évoquant des thèmes qui sont d’une actualité brûlante. L’intérêt enfin et surtout de la contribution de l’Emir, musulman d’une piété irréprochable, est qu’elle fait apparaître l’Islam sous son vrai jour, pétri qu’il est de tolérance, de fraternité, d’amour et d’humanité », déclaration de son petit fils Idriss El Djazairi mettant en exergue l’attachement fidèle de l’Emir aux principes fondamentaux de l’islam. C’est à travers l’Emir Abdelkader que l’occident a mesuré l’humanisme de l’islam. A ce sujet, et lors de l’un de ses discours en faveur de l’Emir Abelkader, Monsieur Jacob Kellenberger, président du comité international de la croix rouge déclare : « Je vous épargnerai la liste de tous les articles des conventions de Genève qui traitent du sujet, mais vous pouvez me faire confiance que le même esprit les anime. L’Emir a donné à l’avance et sans le savoir une description fidèle de ce qui constitue aujourd’hui encore le travail quotidien des délégués du C.I.C.R : apporter réconfort aux détenus et s’assurer que leurs droits soient respectés, rassurer leurs familles ». cet aveu, doit être obligatoirement suivie d’une médaille de l’humanitaire à l’effigie de l’émir Abdelkader. Henry Dunant à qui nous léguons une part d’Algériannité, a certainement beaucoup appris du père de la nation Algérienne.
En conclusion, en consultant les quatre conventions de Genève, on sent planer l’esprit du décret de 1843, des évènements de 1860 et des différents actes humanitaires de l’Emir Abdelkader en faveur des prisonniers. Par sa pensée comme par son action, l’Emir a démontré à juste titre l’universalité des valeurs sur lesquelles repose le droit international humanitaire.
Driss Reffas [1],
Quotidien d’Oran (11 mai 2008)
P.-S.
Bibliographie :
Code Lieber- C.I.C.R (Genève)
Message de s.Em.le Cardinal Paul POUPARD(Président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux du Vatican).
Eric « Younes » Geoffroy : « L’emir, modèle contemporain de l’homme universel ».
Driss El Djazairi : « L’Emir Abdelkader, Précurseur du Droit humanitaire et Chantre du Dialogue inter-religieux »
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