L\'Emir Abd el Kader

L’arrière petit-fils de l’Emir Abdelkader est enterré dans un kibboutz en Israël

Slimane Zeghdour. Journaliste

Aricle paru dans El watan du 17/06/2011

L’arrière petit-fils de l’Emir Abdelkader est enterré dans un kibboutz en Israël

 

Des milliers d’Algériens ont rejoint l’Emir Abdelkader en Syrie fuyant la colonisation française. Slimane Zeghidour, rédacteur en chef à TV5 Monde et chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques, revient sur cet exode.

- Qu’est-ce qui a poussé des milliers d’Algériens, au XIXe siècle, à rejoindre l’Emir Abdelkader au Proche-Orient ?

Le refus de vivre sous la domination française, caractérisée par une colonisation de peuplement brutale, assortie d’expropriations foncières colossales et de répression indiscriminée. La Syrie, province arabe de l’Empire ottoman, était un sauf-conduit pour beaucoup d’Algériens qui ne voulaient plus vivre sous une domination étrangère, chrétienne et violente.

- Ces migrants algériens qui vont fuir la France coloniale vont se retrouver, quelque temps plus tard, sous protectorat français…

C’est vrai. Les Algériens qui arrivent en Syrie-Palestine ne sont pas les seuls migrants. Au même moment, au milieu du XIXe siècle, l’Empire ottoman continue sa descente aux enfers, démantelé par la Russie, l’empire austro-hongrois, la France et l’Angleterre. C’est ce qu’on a appelé «la question d’Orient». Pendant tout ce processus de démantèlement, des centaines de milliers de musulmans, venus des Balkans, de Bulgarie, du Caucase, de Grèce et de Moldavie, quittent leur pays pour venir se réfugier dans l’Empire ottoman. Quand les Algériens arrivent dans la région, est alors promulguée en Algérie en 1865, la loi du sénatus-consulte qui considère tous les musulmans algériens comme des sujets français. Du coup, cette loi va s’appliquer aussi aux Algériens installés en terre de Palestine. Voilà comment la France va devenir leur protecteur consulaire.

- Sait-on combien d’Algériens ont suivi l’Emir Abdelkader ?

Les seules sources que l’on possède proviennent des consulats français de Damas, Haïfa et Jérusalem. Selon les archives, il y avait 2000 Algériens à Damas et 13 000 dans ce qui deviendra la Palestine historique, à la fin du XIXe siècle, ce qui n’est pas négligeable pour l’époque.

- Ces Algériens vont devenir les témoins des remous qui toucheront la région…

Les Algériens qui s’installent dans le Golan et en Galilée, régions les plus fertiles, se retrouvent au milieu de Tcherkess, des Tchétchènes et de chrétiens. En tant qu’Algériens, ils n’ont pas l’habitude de cet environnement pluriculturel et pluriethnique. A cette époque, l’Algérie était plutôt un pays monoculturel. L’environnement proche-oriental est totalement inédit pour eux. Ensuite, dans le dernier quart du XIXe siècle, les Algériens voient arriver deux types de colons : les templiers allemands - des protestants qui vivaient dans le fantasme du retour de l’ordre des templiers du Moyen-âge et vont acquérir des terres auprès de l’administration ottomane - et les colons juifs, sionistes, venant d’Europe de l’Est et de Russie qui vont s’installer dans les régions fertiles et autour du lac de Tibériade où se trouvent une quinzaine de villages majoritairement algériens. A partir de là, on va assister à la rencontre entre une société musulmane, patriarcale, basée sur le culte du zaïm et de l’honneur, face à une société d’individus travaillée par les idées marxisantes, syndicalistes, ouvriéristes, prolétariennes, révolutionnaires et basée uniquement sur l’individu et le volontariat. Les colonies juives, dès le départ, n’étaient pas venues trouver refuge dans les beaux paysages pour produire des tomates et des oignons, mais plutôt pour mettre en place les jalons d’un Etat. Alors qu’en face, on continuait à vivre dans le cadre d’un empire en perdition et à ne s’intéresser qu’à la permanence du clan et de leurs biens. C’est ainsi que les juifs vont acheter les terres, grâce aux dons de philanthropes d’Europe, et constituer les premières grandes colonies agricoles prospères, en mettant en place leurs milices, leurs petites industries. Car ces colonies reposent sur le principe que la terre appartient à celui qui la travaille. C’est pourquoi dès qu’ils prennent possession des terres, ils en chassent les travailleurs agricoles qui y vivent.

- Sait-on ce que sont devenus les descendants des Algériens ? Gardent-ils un lien avec leur pays ?

Ceux que j’ai rencontrés à Jérusalem et en Galilée - les uns sont Israéliens et les autres Palestiniens - gardent une vraie tendresse et un intérêt pour l’Algérie, c’est indéniable. Mais ils ne vivent pas avec le désir de revenir en Algérie. Ils sont complètement assimilés dans le pays où ils vivent, mais ils conservent une nostalgie de ce que fut la grandeur de leur famille à l’époque de l’Emir Abdelkader…


- Vous révélez qu’il existe des biens wakfs algériens en Terre sainte. Que sont devenus ses biens ?

Il existait un quartier maghrébin jusqu’en juin 1967, aujourd’hui démoli. D’ailleurs, l’orientaliste Louis Massignon a publié un texte assez complet sur les wakfs maghrébins, notamment algériens, à Jérusalem et à Ein Karem. Quand le consulat général français a pris en charge la protection consulaire des Algériens, il était régulièrement interpellé sur le dossier, car ces wakfs ont été placés sous la supervision française. A tel point qu’en 1948, quand l’Etat d’Israël a été créé, le mufti d’Alger a interpellé les autorités françaises pour qu’elles veillent à ce que les biens wakfs algériens ne soient pas aliénés.

- Vous rappelez que le vrai enjeu dans le conflit israélo-palestinien ne réside pas dans la domination d’un peuple par un autre, mais dans la possession des terres…

C’est une réalité. Tout l’enjeu peut se résumer à une seule question : qui prend la terre ? Quand l’Etat d’Israël a été créé en 1948, l’ensemble des terres achetées par les organisations juives ne représentait que 6% du territoire palestinien, telle que dessiné par le mandat britannique en 1920. Puis il y a eu le plan de partage mis en place par l’ONU en 1947 qui prévoyait la division de la Palestine entre un Etat arabe et un autre juif. Ce partage a accordé aux juifs un peu plus de 50% des terres les plus fertiles, notamment celles situées sur le littoral et une partie de la Galilée. En contrepartie, ils devaient maintenir la population arabe. Ce qui voulait dire que 55% de la population juive telle que instituée par le plan de partage étaient arabes. C’est pour cela que lors de la première guerre de 1948, le transfert de la population était si capital pour les dirigeants israéliens de l’époque. Quand le premier cessez-le-feu est signé en 1949, les Israéliens avaient récupéré une bonne partie des territoires arabes. A la faveur de cette guerre, moyennant pression, expulsion et violence, 860 000 Palestiniens ont dû fuir leur village. Les biens laissés sur place s’appellent les biens des «présents- absents», et font partie, aujourd’hui, des litiges entre la partie israélienne et palestinienne.


- Vous revenez aussi sur le parcours pour le moins rocambolesque de l’arrière-petit-fils de l’Emir Abdelkader, Abderrazak Abdelkader, qui va prendre fait et cause pour le sionisme et qui est enterré dans un cimetière en Israël…

Abderrazak est un personnage qu’on pourrait qualifier d’atypique. C’était un marxiste-léniniste qui avait publié deux essais aux éditions Maspero : Le conflit judéo-arabe et Le monde arabe à la veille d’un tournant. Au nom de ce marxisme-léninisme, il va s’intéresser au sionisme comme forme de socialisme libertaire, qu’il considère comme porteur des germes de la libération, au contraire des sociétés arabes gouvernées par des potentats autoritaires. De retour en Algérie en 1962, il va essayer de créer un maquis d’opposition au président Ben Bella. Il sera arrêté en 1963 et expulsé du pays. Lors d’une interview au journal Koul al arab, il raconte comment, dès 1948, il a apporté son aide à la Palmakh, la milice juive pour la création d’un Etat israélien. Il a ensuite tenté de s’installer dans un kibboutz, mais cela lui a été refusé et il a terminé sa vie dans une roulotte, dans le village de Majdel, un village algérien avant de devenir Israélien. Tout au long de sa vie, il écrira des articles dans la presse à la gloire du sionisme et contre le processus de paix. Il mourut en 1978 et seul le kibboutz d’Afakim, pas loin de l’ancien village algérien de Samakh, accepta d’accueillir sa tombe sur laquelle est gravé le nom de Dove Golan, qui signifie «l’ours du Golan». Selon son souhait, il n’est pas enterré la tête dirigée vers La Mecque, mais vers le Golan…



06/08/2011
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