L\'Emir Abd el Kader

L’exception algérienne : La modernisation à l’épreuve de la société

Notes de lecture - Archives Confluences-Méditerranée
 
L’exception algérienne : La modernisation à l’épreuve de la société

Djamel Guerid

 
 

Djamel Guerid, L’exception algérienne :La modernisation à l’épreuve de la société
CASBAH éditions, Alger, 2007.

Comment a-t-on pu en arriver là ? C’est par cette question, qui taraude tous ceux qui s’intéressent à l’Algérie, que D. Guerid ouvre son ouvrage : L’exception algérienne, la modernisation à l’épreuve de la société. La difficulté de cette question s’est traduite par un grand nombre de réflexions qui n’ont pu recevoir de réponses satisfaisantes. Parmi les raisons avancées pour essayer d’expliquer les problèmes qu’a connus l’Algérie, trois sont privilégiées : la très inégale redistribution de la rente pétrolière, la politique autoritaire de l’Etat, la religion, qui elle-même implique la violence. Ces trois causes sont aussi citées, selon l’auteur, pour de nombreux pays et, de ce fait, il pose la question : pourquoi n’ont-elles produit de tels effets qu’en Algérie ? Au-delà des réponses évoquées au fil des trois parties du livre, l’auteur va s’appuyer sur des écrits, enquêtes et témoignages et articuler sa réflexion sur les dates, les faits, les conditions et les hommes qui ont été à la base de la production de la société algérienne. Cette dernière a connu des dualités tellement fortes qu’il va jusqu’à dire qu’en Algérie tout s’est fait dans la violence et s’est réglé par la violence.

Le 5 juillet 1830, date de la colonisation de l’Algérie, est le point de départ choisi par l’auteur : « un événement qui va couper l’histoire de l’Algérie arabo-musulmane en deux : Il y a un avant et il y a un après l’intervention française ». Il soutient l’idée que l’exception algérienne commence par le fait que la colonisation, avant de métamorphoser la société, a empêché le développement naturel de celle-ci. Les origines de la dualité culturelle vont être puisées, à travers la première partie, dans l’histoire coloniale de l’Algérie. Les acteurs de cette dualité culturelle sont d’un côté ceux qui vivent avec une culture arabo-islamique et, de l’autre côté, ceux qui fonctionnent à l’intérieur du système colonial des normes et des valeurs, souvent présentés sous l’appellation de « modernistes » et d’« arabistes ». Les divergences entre les deux parties sont tellement profondes que l’auteur parle de deux sociétés complètement distinctes où aucun signe de complémentarité n’est envisageable. Toutes deux partagent un rejet mutuel : « les premiers voient les seconds comme les témoins d’un temps révolu, et les arabistes ne voient dans les modernistes qu’un prolongement de la société française ». Les chefs de file de cette division sont Hamdane Khodja, d’une part, et l’Emir Abdelkader, d’autre part. Les deux hommes ne partagent pas la même vision quant à la réaction à avoir face à l’intrusion française. Contrairement à la solution de compromis prônée par le premier, l’Emir Abdelkader voit dans la lutte armée la meilleure des réponses. Aucun des deux mouvements n’a réussi à faire face à une machine coloniale qui n’a pas lésiné sur ses moyens d’expropriation, de pillages et même d’extermination, à tel point que des historiens ont parlé de destruction d’une société et non seulement de destruction d’un Etat. Cette dualité entre modernistes et arabistes a perduré pendant toute la période coloniale, portée par des personnes tels que Ferhat Abbas ou Ibn Badis, qui, même s’ils partagent un rejet du mouvement radical de Messali Hadj, demeurent un prolongement de la dualité Khodja- Emir Abdelkader.

Au lendemain de l’indépendance, la dualité entre Algériens s’est exacerbée et ses manifestations n’ont cessé de se multiplier (francisants-arabisants, cadres-ouvriers, citadins-ruraux…). Dès les premières années d’indépendance, la lutte pour le pouvoir a pris fin en faveur de l’élite du pouvoir industriel (industrialistes). La prise en main de l’appareil économique s’est opérée à travers les nationalisations, le contrôle du système bancaire, et la création d’entreprises industrielles. L’industrialisation est perçue, à l’instar de la vision dominante de l’époque, comme la condition sine qua non du passage d’une société traditionnelle à une société rationnelle.

Dans la deuxième partie du livre, l’auteur tente de mettre au clair en quoi l’industrialisation en Algérie a eu pour effet la production de la société industrielle moderne : « la civilisation industrielle et l’acculturation des Algériens c’est-à-dire leur transformation en producteurs et consommateurs rationnels ». L’auteur commence par traiter le rapport entre l’entreprise et la ville. Il montre que l’entreprise publique, non seulement n’a pas entièrement réussi la resocialisation et l’acculturation des travailleurs, mais est restée une menace pour les activités déjà implantées en les dépouillant de leurs meilleurs éléments. Enfin, l’examen des cas de l’usine, de l’école et de l’université montre les limites du projet de développement mené par les industrialistes afin de construire une société moderne homogène. « La domination de la figure et de la culture majoritaire, produit inattendu du mouvement du développement sanctionne, irrémédiablement, l’échec du projet industrialiste de transformation sociale et d’acculturation des algériens à la civilisation industrielle ». La société algérienne de la fin du XXe siècle ne ressemble nullement à la société prévue dans les années 70 par les « industrialistes ». Aujourd’hui, personne ne peut nier la centralité de l’islam dans la société algérienne, ce que l’auteur a appelé la « société majoritaire ». Au moment où l’on compte par dizaines de milliers le nombre des élites qui ont quitté le pays, dans la société, la confrontation se mêle au désespoir. Et les difficultés de la vie quotidienne prennent le dessus. L’auteur finit par désapprouver le mimétisme qui menace la société algérienne : « Le mimétisme, qui a caractérisé les industrialistes, est en train de se répéter avec les modernistes et les notions utilisées de manière a-critique comme celles de république, démocratie, modernité, laïcité. Faut-il rappeler que ces notions sont, en Europe, le produit d’une histoire et, qu’en histoire, les raccourcis sont dangereux ? Le défi qui se pose, en Algérie comme en Afrique, c’est d’être enfin en mesure d’inventer et le développement et la démocratie qui soient à la fois en affinité avec la société réelle et son histoire et en phase avec le monde qui l’entoure »

Auteur de la Note : Hadji RAMZI Doctorant en économie, CEPN, Université Paris 13


05/08/2012
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