L\'Emir Abd el Kader

Théâtre documentaire Stefan Kaegi, Paris 2010.

Radio Muezzin UNE EXPERIENCE A VIVRE

EN LANGUE ARABE SURTITREE EN FRANCAIS

du 16 au 20 février 2010 de Stefan Kaegi Grande Halle de la Villette/Paris

Dès le départ, on apprend que c'est une soirée réservée, avec des invités sur invitations qui reçoivent également invitation à poursuivre la soirée au cocktail, je ne connais ni ne reconnais personne du Ministère de la Culture, de la Drac, de la Région, ils ont dû le voir au Festival d'Avignon l'été dernier. Peu ou pas d'orientaux encore moins de maghrébins, cette séance n'est pas pour eux.

Dans la salle d'attente, derrière la cloison, on entend les dernières répétitions oh que j'ai bien fait de venir!

Dans la salle Boris Vian de la grande Halle de la Villette, le dépaysement est total, un tapis rouge de prière comme partout dans toutes les mosquées du monde entier, marqué d'emplacement de prière individuel, trois horribles chaises en plastique blanc qui assaillent le tiers monde du nord au sud , d'est en ouest, un porte- chaussure et un sobre porte- coran tient ouvert un grand Moshaf.

Un premier muezzin Hussein Gouda Hussein, arrive sur scène accompagné, il est aveugle, et commence à faire l'appel à la prière qui n'est pas la prière elle-même, auxquels répondent en canon d'autres muezzins répartis dans la salle: que se passe-t-il ?A quoi assiste-t-on ?

Une fois l'interrogatoire de chacun à l'allure juridico- administrative passé, derrière chacun d'entre eux, un écran diffuse leur vie quotidienne au Caire ponctuée de photos personnelles où l'on découvre que son jeune fils s'appelle Taha faisant référence au célèbre écrivain aveugle égyptien, Taha Hussein.

A ce propos il nous narre une anecdote qui circule en Egypte, rapportant qu'un bon nombre de muezzins auraient été tous aveugles, garantie de leur  totale discrétion vis-à-vis des familles vivant autour du minaret. Pourtant, Bilal le premier muezzin de l'histoire ne l'était pas ?

Parmi les 30.000 mosquées de la capitale, il y a deux catégories de muezzins au Caire, ceux reconnus et engagés par le Ministère des Affaires Religieuses qui les dotent de salaire et de l'habit et du turban d'El Azhar qui coûte tissu et coupe 1872 Livres ( 238 euros) soit 6 fois ce que leur rapporte leur charge. Ce sobre habit est porté lors de fêtes religieuses, de cérémonies et enterrements, le transforme en souverain asiatique, les dorures en moins, nous sommes dans le domaine du sacré ne l'oublions pas. L'autre catégorie de muezzins est contrainte de se trouver un autre travail pour vivre.

Selon le statut de la mosquée, le muezzin est amené à accomplir un bon nombre de tâches qui vont du ménage aux petites réparations en passant par l'enseignement à l'école coranique.Autrement dit il fait le lien entre travail et charge religieuse, entre Dounia et Dinn, entre l'ici-bas et l'au-delà.

Hussein Gouda Hussein est un excellent muezzin, très attachant, il ne tarde pas à faire une petite démonstration de diction pour l'apprentissage du Coran ainsi qu'il pratique avec les enfants et les adolescents. On est aimanté par son savoir-faire ou plutôt par ce don unique, cette voix unique enveloppante, chaleureuse, mélodieuse, remarquable aux vibrations multiples qu'il donne sans forcer.

Il précise qu'il va nous montrer en quoi consiste l'appel à la prière et qu'en Allemagne il est interdit et que Dieu merci nous sommes à Paris ».

Cher Monsieur ce que vous ne savez pas c'est qu'en France suite à l'interdiction sauvage des Suisses d'entendre l'appel sur leur sol, un débat sur l'identité française fait un atroce amalgame avec les maghrébins -encore eux en première ligne- et leur culte dans leurs mosquées.

C'est pourquoi le travail de Stefan Kaegi, metteur en scène suisse est d'une intelligence rare et arrive à point nommé dans le paysage culturel, une démonstration magistrale que tout ce qui est véhiculé contre l'islam, l'est pour nuire , et vient de personnes ignorantes.

L'art du chant classique en Egypte commence par la psalmodie du Livre Saint comme nous le savons pour l'Astre d' Orient, Om Kalsoum qui, déguisée en petit garçon, suivait et assistait son père de mosquée en mosquée, de village en village.

La psalmodie du Coran (Tartîl )est rendue immédiatement possible du fait que le Livre est systématiquement et totalement vocalisé afin de lui attribué son sens canonique.C'est à partir de là que les enfants apprennent la langue arabe où comme dans toutes langues phonétiques, on prononce tout ce qui est écrit.

La différence entre chant et psalmodie correspond à celle qu'il y a entre chant profane et chant sacré. Là où il a liesse et Tarab, il y a recueillement et sobriété.

La fonction de muezzin est célébrée par un prix lors du concours international , 47ème du nom en 2OO5, qui a lieu en Malaisie et pour lequel Mohamed Ali Faraj (quel beau nom !)a obtenu la 2ème place. C'est donc un grand honneur pour lui.Il officie dans la première mosquée d'Afrique et d'Egypte, connue sous le nom d'Amrr ibn el 'Aas.

Pour finir, je voudrais saluer l'excellent travail de Stefan Kaegi qui avec son théâtre documentaire utilisant les outils numériques disponibles, nous ouvre les portes d'univers inconnus avec un tel respect des gens, une telle délicatesse, son travail n'apparaît à aucun moment qui lui a pourtant demandé des années pour ses recherches et repérages, des mois de répétitions et des accords aux autorités compétentes. A aucun moment il pousse au  prosélytisme. Ce n'est pas un spectacle, c'est une expérience à vivre pour tous de toutes confessions.C'est cela sa force.

Ce qu'il faut ajouter est que l'Etat égyptien souhaite réduire le nombre des muezzins en le rapportant à une trentaine dont l'appel serait transmis en direct par un émetteur Radio central qui plus tard pourrait même n'utiliser que des voix enregistrées.

Radio Muezzin arrive à point nommé pour alerter de ce que perdrait l'Egypte pour son peuple et pour le monde arabe en terme de patrimoine vivant en supprimant aussi massivement le nombre de ses muezzins.

C'est encore Hussein Gouda Hussein qui le dit très justement : « le meilleur moyen de relier un humain à un autre humain est l'appel direct, vivant du muezzin ».

A qui profite toute cette confusion alors ? A qui cela est-il avantageux pour reprendre le poète ? c'est la question que je me pose, pourquoi vouloir placer les uns contre les autres ?

 Eté 2009 dans le Monde , Fabienne Darge a écrit que "le détail qui tue, c'est le clocher attenant au cloître, qui ressemble furieusement à un minaret".

Un groupe de jeunes femmes dont l'une a dit aux autres à la fin : « je suis venue sans savoir, à reculons, je ne regrette pas d'être venue, j'ai appris beaucoup de choses ».

L'islam c'est cela : d'abord de l'amour à vivre et à partager, du lien, du recueillement, de la paix, porté par des hommes unis et réunis autour du Livre.

Un islam profondément humaniste.

Rien de moins. Rien de plus.

Mercredi 17 février 2010

Les quatre muezzins sont  : Hussein Gouda Hussein,  Abdelmoty Abdelsamia Ali, Mansour Abdelsalam Mansour(ci-dessus) et  Mohamed Ali Mahmoud ibn Faraj(ci-dessous).



21/02/2010
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