La médecine dans l’état de l’Emir Abdelkader
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La médecine dans l’état de l’Emir Abdelkader
A propos de la formation de médecins selon des normes modernes, l’Emir Abdelkader
aimait répéter cette phrase : « Il est dit dans les livres sacrés que le sultan qui ne rend
pas disponible dans son royaume la formation médicale, est considéré comme ayant
péché vis à vis de son créateur. » ( P. Azan ; L’Emir Abdelkader, du fanatisme islamique
à la citoyenneté française ; p. 141 ).
L’Emir Abdelkader Ibn Mahiéddine est né en 1808 à El Kitna prés de Mascara, d’une famille noble, il a fait
ses premières clsses auprés de son père, puis est parti à Arzew où il a étudié chez le Cadi de cette ville,
Ahmed Ben Tahar, différentes sciences: astronomie, arithmétique, géographie, histoire…Il a accompagné
son père au pèlerinage aux lieux saints en 1828. Il est passé par plusieurs pays: Tunisie, Lybie, Egypte,
Syrie, Hidjez Irak…il a fait de longues haltes notamment à Damas, au Caire et à Alexandrie. En Syrie, il a
cotoyé El Nakchabendy, grand çoufi de l’époque, et El Kazbary, grand exégète du hadith. En Egypte, il a été
reçu par le Pacha, Mohammed Ali. Les contacts qu’il a eu durant ce long voyage, les hommes de scienceet
les responsables politiques, avec lesquels il a eu des entretiens, la situation politique, économique, culturelle
du monde arabe… ont contribué à façonner son jugement et à développer sa personnalité. A son retour au
pays, il s’est quelque peu isolé consacrant une grande partie de son temps à étudier les auteurs anciens
Platon, Pythagore, Aristote, les livres d’histoire, de philosophie, de géographie, de religion, de langue, mais
également de médecine et de plantes. ( M. Kaddache, L’armée de l’Emir Abdelkader; Rev. Ethakafa, N°
spécial 75, mai-juin 1983; Alger ) ( Rev d’Histoire, Centre National d’études historiques, N° spécial; Ed
SNED 1983, Alger ). Il a constitué une importante bibliothèque privée. En 1830, il a été appelé à prendre la
tête de la lutte contre l’occupation étrangère du pays. Il mena un combat chevaleresque jusqu’en 1847.
Emprisonné en France jusqu’en 1852, d’où il est parti en Turquie puis en Syrie en 1854 où il s’est fixé
jusqu’à sa mort qui survint le 26 mai 1883.
Cette introduction est nécessaire pour comprendre la mise en place de l’état que l’Emir voulait fort et
moderne.
Organisation sanitaire:
L’Emir Abdelkader, en l’espace de quelques années, a mis en place les structures d’un état moderne différent
de tous les modèles existant dans le monde arabe et musulman. Trois conseils présidaient à la tête de l’état:
un conseil des ministres, un conseil de la Choura et un conseil de guerre. Différents organes géraient la vie
diplomatique, économique, sociale et militaire, fonctionnant sur le modèle de ministères ( Nadhara ). Ainsi,
on notait les affaires étrangères, l’économie, le commerce, les finances avec la frappe de la monnaie au nom
de l’Etat Algérien, l’agriculture, la santé, l’enseignement, l’urbanisme et la construction, l’industrie
d’armement, la justice.
L’organisation administrative de l’état a donné lieu à huit régions ou Aghalik : Tlemcen, Mascara, Miliana,
Médéa, Médjana-Bouira, Sébaou, Bibans et Sahara. Les aghalik étaient divisés en plusieurs caïdat qui
regroupaient une ou plusieurs tribus. En raison du mode de guerre auquel il était confronté, l’Emir avait eu
plusieurs capitales: Mascara, Tagdemt, Taza, Boghar, Tlemcen et Miliana. Après la destruction de Mascara
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et de Tagdamt par l’armée française, l’Emir a opté pour une capitale mobile ou “Smala” qui pouvait
comprendre jusqu’à 200 000 personnes avec toutes les infrastructures nécessaires.
Le système de santé était sous la reponsabilité du médecin personnel de l’Emir, Abdallah Ezzarouali. Dans
les huit grandes circonscriptions ainsi qu’à Boghar ( A. Benachenhou; L’Etat Algérien en 1830 ) et dans la
smala, un hôpital a été organisé. Dans chaque hôpital, quatre, parmi les meilleurs médecins, furent affectés.
Ceci suppose une sélection dont le mode n’a pas été précisé. Des militaires assuraient les services, la
logistique, le transport des malades et la maintenance. Le recrutement des infirmiers répondait à un certain
nombre de critères: intelligence, politesse, bonne présentation, calme… Cet établissement mettait à la
disposition du malade le nécessaire en matière d’alimentation, de literie, de soins et de médicaments. Ces
hôpitaux recevaient aussi bien les civils que les militaires. ( Mohammed Ibn Abdelkader; Touhfet Eza’ir; p.
129 ). Dans la Smala qui était un campement de tentes, l’hôpital, la tente des médecins et celle du
chirurgien-chef étaient placés à l’entrée du camps à coté de la tente de commandant de l’artillerie. (
Mohammed Ibn Abdelkader; Touhfet Ezza’ir; ). Des pharmacies ont été mises en place au niveau de tous les
établissements sanitaires. ( Mémoires de l’Emir Abdelkader écrites en prison en 1849, Ed Dallah )
Le médecin-chef recevait du “Beit el Mel”, une tenue complète, 12 rials par mois, un quart d’agneau tous les
lundi et jeudi, 2 pains blancs tous les jours ou 2 livres de semoule,et 2livres de couscous ainsi que 2 onces de
beurre ou d’huile en cas de non disponibilité du beurre et en fin 3 livres de bois par jour.
Les infirmiers recevaient également un traitement mensuel du “Beit el Mel”. Leur traitement était
proportionnel à leur expérience. ( A El Djilali; Histoire générale de l’Algérie, T 4; Ed OPU, 1994; Alger ).
Sur le plan militaire, l’armée de l’Emir comprenait des forces permanentes, organisées par brigades dans
chaque région et constituées en bataillons soutenus par la cavalerie. Cette armée disposait de tenues et était
hiérarchisée selon des titres distinctifs. Cette force était secondée par des volontaires, dont les effectifs
pouvaient atteindre 70 000 combattants. Les forces auxilliaires étaient chargées de la logistique, des soins,
des centres de vie, des communications, de la sécurité, de la garde, de l’information…Elles étaient
constituées par les forces populaires.
Dans chaque bataillon officiaient un ou deux médecins qui étaient sous les ordres d’un Bech-Djerrah. (
Abdelkader; Ouichah El-Kataib )
L’intérêt pour la santé était très vivace chez l’Emir. La lecture du règlement des troupes régulières témoigne
de cet intérêt, article 24 du 7
ème
règlement ( Extrait du réglement obtenu par le général Marey d’un Agha du
Sébaou: Moniteur Algérien de 1844 ): “ Le sultan aime sa troupe et veut la rendre heureuse. Il a désigné un
chirurgien qui est éclairé et a les connaissances nécessaires pour remplir les conditions de son état. Il lui a
donné tous les instruments et tous les médicaments nécessaires. Les soldats malades seront transportés dans
une maison désignée par notre maître et sultan, où ils trouveront les soins dûs à leur position; il y aura de
quoi manger, boire, se coucher et se couvrir. Il y aura des soldats qui serviront les malades et qui se
nommeront çannaâ ( infirmiers ou étudiants en médecine )? Ils devront être intelligents, gais avec les
malades, respectueux et empressés. Ils devront étudiés la médecine, et quand les chirurgiens jugeront qu’ils
sont assez forts pour professer leur état, ils seront nommés par le sultan. Ils rempliront ces fonctions en
garnison comme en campagne; leurs émoluments, leur nourriture et leur boisson, leur seront donnés par le
gouvernement. S’ils avaient en sus besoin de quelque chose, ils le recevraient du gouvernement. Le
médecin-chef aura des habits de drap; il aura 12 rials par mois; il aura le lundi un quart de mouton, et un
autre quart le jeudi; deux pains blancs tous les matins et deux livres de biscuit: tous les soirs il touchera deux
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livres de farine et deux onces de beurre ou d’huile. Il faut absolument qu’il fasse son état avec conscience;
alors Dieu l’aidera à rétablir le malade, et le sultan récompensera le médecin.”
Les blessés et les réformés percevaient une pension permanente ou provisoire selon la gravité de la blessure.
En cas de survenue de maladie en cours d’enrolement, le soldat percevait une demi-solde après décision du
Bech-Djerrah. En cas de décés au combat, le martyre est cité à l’ordre de l’armée et sa famille percevait une
pension permanente. Cette réglementation a été abandonnée après la prise de la Smala. ( A. Benachenhou ).
Pratique de la médecine:
Abdallah Ezzerouali, médecin personnel de l’Emir et chargé du portefeuille de la santé, était renommé dans
l’art de guérir, comme il excellait dans l’utilisation des plantes médicinales, il arrivait à extraire des balles
des membres à l’aide de plante, sans douleur ni intervention. ( Mohammed Ibn Abdelkader; Touhfet Ezza’ir;
Dar El Yakadha El Arabia, Beyrout ).
La guerre imposée à l’Emir par un grande puissance, ne lui a pas permis de réaliser toutes ses idées en
matière de formation médicale, puisqu’il voulait créer une école de médecine qui aurait pu doter l’état d’un
système de soins moderne et empreint d’humanisme. A l’instar des autres secteurs, l’Emir était conscient du
retard existant au niveau du secteur de la santé ( Cl Scott; Mémoires du colonel Scott, trad. Arabe, Ed SNED
1981, Alger ) et comme dans d’autres secteurs tels l’industrie d’armement, la banque, l’organisation de
l’artillerie; il a fait appel à des médecins étrangers soient en puisant dans les rangs des captifs, soit en
invitant des médecins à venir travailler dans son territoire.
Le docteur Warnier, médecin militaire attaché au consulat de France à Mascara, a été consulté par la famille
de l’Emir lors de la maladie du fils de l’Emir, Mahiéddine. Ce médecin s’est rendu à plusieurs reprises au
chevet de l’enfant, malade âgé de trois ans, qui malgré les soins est décédé. La compétence du médecin n’a
jamais été mise en doute et il a continué à faire des consultarions et à délivrer des médicaments au consulat.
Par contre, le consul de France, dans un accés de folie, à la suite de ce décés, s’imaginant qu’il était
soupçonné d’avoir empoisonné le fils de l’Emir, tua son intérprète, soupçonné par lui de l’espionner; avant
de se donner la mort. ( Rev Afr, N° 28; Année 1884, p.231)
Le même Warnier, a été chargé par l’Emir de soigner, Ferhat Ben Saïd, surnommé le serpent du désert,
arrêté pour collusion avec l’ennemi, par le Calife de Médéa et transféré sur Tagdemt. A son arrivée dans la
capitale de l’Emir Ferhat avait le bas des jambes tellement enflé et écorché qu’il n’arrivait pas à se tenir
debout. Le médecin français pansait ses blessures quotidiennement; mais la guérison tardait à venir et les
plaies suppuraient toujours. Ferhat eut alors une altercation avec son médecin et lui interdit de revenir le
voir. Il prit un médecin algérien qui lui faisait appliquer des emplâtres de henné et bientôt il alla mieux et put
comparaître devant le conseil de guerre. ( Rev. Afr.; N° 28, Année 1884, p. 231-32 ).
La femme de l’Emir, Lalla Zohra, avait elle-même dispensée des soins à des blessés aussi bien algériens que
captifs. L’Emir en personne, au cours de la semaine sanglante qu’a connue Damas à partir du 20 the el Hijja
1276 H. / 9 aout 1860, a secouru des bléssés et a pansé leurs blessures. ( Gorgy Zeidane; Biographie des
célébrités de l’Orient, T 1; p. 192 ).
Les maladies les plus fréquentes dans l’état de l’Emir étaient la gâle, la syphilis, la rougeole, la variole, les
furoncles, la diarrhée, les tumeurs, les ophtalmies. ( A. Doudou; Impressions d’un voyageur allemand dans
la région d’Oran, Ed ENAL 1989; Alger ). Une épidémie de Choléra ( Errih El Asfar ), a touché Miliana,
Médéa, Mascara et Tlemcen en 1835 et fit de nombreuses victimes. ( Rev Afr; N° 57, Année 1913, p. 251 )
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Il existe plusieurs témoignages sur les soins donnés aux malades et aux blessés dans l’Etat mis en place par
l’Emir:
-“ Aussitôt arrivés, ces malades avaient été pansés par le tebib Sidi Mohammed, habitant dans les montagnes
voisines que Abdelkader avait fait venir tout exprés. Il avait pansé les blessures de la manière suivante: après
avoir appliqué le feu par la méthode de scarification, il avait introduit du miel dans les plaies qui avaient été
recouvertes ensuite par de l’etoupe maintenue au moyen de lambeau de chemises et de mouchoirs. Le
traitement avait été continué pendant quelques jours, puis pour prévenir l’apparition de vers dans les plaies,
il avait remplacé le miel par une pommade dans laquelle entrait de l’acétate de cuivre, du beurre, du miel, de
la cire et de l’huile. Le topique de Sidi Mohammed était tellement actif que les mouches qui venaient se
poser dessus mouraient à l’instant”. ( M. de la Porte; Les captifs de la daïra d’Abdelkader, p. 128-29 ).
-“ le barbier m’appliqua une ventouse sur la tête. Je perdis beaucoup de sang; mon mal de tête disparut
complètement et je me trouvai bien soulagé. Le lendemain, je voulus encore être saigné car j’éprouvais une
si grande amélioration dans mon état depuis l’application de la ventouse…” ( A. France; Les prisonniers
d’Abdelkader; II, p. 39 ).
- Des pécheurs de corail italiens furent pris, non loin de Ténès, début juillet 1836. Avant de rejoindre le
camp de l’Emir, ils restèrent deux jours dans l’ancienne ville où ils furent généreusement reçus par les
habitants:” les femmes de ce village, écrit l’un deux, furent pleines de bonté et de pitié pour moi. J’avais
huit blessures de yatagan sur le corps. Ces excellentes femmes ne me quittèrent pas une minute et elles
passèrent tout le temps que je demeurai à Ténès à frictionner mes blessures avec du miel et du beurre.
Elles me donnèrent ainsi qu’à mes camarades, du pain blanc et des fruits…” Le captif ajouta:” à voir
tous les soins, toutes les prévenances dont j’étais entouré, je croyais être plutôt à Gênes que sur les côtes
barbares…” ( ibid ).
Aspects Social et humaniste chez l’Emir:
Les attitudes humanistes de l’Emir sont nombreuses et célèbres, soit vis à vis de ses prisonniers en
particulier lorsqu’il s’agissait de femmes ou de son historique interposition les armes à la main pour protéger
les Chrétiens de Syrie et du Liban d’une fin certaine.
Le penchant social de l’Emir s’exprime de façon permanente face aux pauvres, aux opprimés et aux faibles.
A Mascara, première capitale de l’Emir avant sa destruction par l’occupant colonial, l’Emir avait mis en
place une maison réservée aux femmes enceintes présentant des” envies” ( Dar El Metouahmete ) où elles
pouvaient recevoir ou prendre tous les mets qu’elles désiraient. ( B. Azzout; communication pers. 1976 ).
Ces qualités exceptionnelles de l’Emir, se retrouvent dans deux lettres de remerciements qu’il a adressée à
des médecins français. Dans la première, datée de 1848, l’Emir remercie les chirurgiens de l’Asmodée qui
soignèrent les compagnons de captivité de l’Emir et dont certains étaient blessés : “ Louange à Dieu seul et
unique; C’est écrit, de la part d’Abdelkader Ibn Mahiéddine, est adressé aux chirurgiens français; que Dieu
les favorise de sa bonté et les contente, ainsi qu’ils méritent;; vous avez agi avec bonté envers mes
compagnons qui sont blessés; que Dieu vous accorde sa grâce et vous récompense. Il est puissant en toute
chose.” La deuxième est adressée à son médecin, le docteur Tamisier, avant de quitter Fort Lamoigne: “
Louange à Dieu seul et unique, rien n’est durable si ce n’est son règne. (…) Après les salutations qui vous
sont dues, le moment de notre séparation est arrivé. Elle nous afflige profondément parce que je ne trouverai
personne comme vous, qui ait autant de compassion et qui partagera aussi bien mes souffrances. Vous êtes
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un homme de coeur bon et généreux, la preuve en est que vous avez donné des soins à tous les miens, non
dans un but d’intérêt particulier, mais bien dans celui d’être agréable à Dieu. Vos paroles douces et
bienfaisantes, plus efficaces que vos remèdes, ont guéri ceux qui étaient attaqués de la maladie du coeur.
Salut.” ( A.V.G., 98 ter, 4.)
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