L\'Emir Abd el Kader

Officier danois servant dans l’armée française ayant assisté à la conclusion du Traité de la Tafna

Extraits du livre de A.V. Dinesen*
Officier danois servant dans l’armée française ayant assisté à la conclusion du Traité de la Tafna

Par A.V. Dinesen
Publié le 01 juin 2012
 

Abdelkader, qui recevait pour la deuxième fois une offre de négociation, pensa que le temps était venu d’agir et de devenir maître du terrain. Il répondit donc au général Desmichels par une longue lettre où il inclut plusieurs citations du Coran, en ajoutant : « Notre religion, qui nous interdit de demander la paix, nous autorise à l’accepter quand elle nous est offerte. » Et, à un autre endroit : « Il est dit dans les Saintes écritures : si on ne vous propose pas la paix, ne la cherchez pas, car c’est Dieu qui décide de tout. Si la paix est rompue, ayez foi en Lui, il vous unira et protégera vos armes. » Il terminera sa lettre en répondant aux menaces du général Desmichels : « C’est en souriant que nous allons au-devant de la mort. Nous ne pleurons pas le passé. Nous n’avons d’autres alliés que nos armes et nos chevaux. Le sifflement des balles nous est plus précieux que l’eau fraîche à un homme assoiffé, et le hennissement des chevaux est plus agréable à nos oreilles que la plus exquises des mélodies. S’il nous faut quitter le pays, nous le ferons sans regrets. C’est à Dieu que le monde appartient, c’est Lui qui nous l’a donné en héritage. Que nous nous tournions vers l’ouest, vers l’est, et même vers le désert, nous trouvons partout notre Nation. Vous semblez mépriser les forces des Arabes, mais nous sommes toujours prêts à nous battre. Relisez l’Histoire, et vous verrez ce qui s’est passé en Asie Mineure, dans les environs de Damas »…

…C’est donc avec joie que le général accueillit à son quartier général, le 25 mai, Sidi Hammadi Ben Sekkal, qui lui apportait des propositions de paix d’Abdelkader. Bugeaud le renvoya le lendemain au camp de l’Emir, situé à 6 lieues du camp de Tafna dans la direction d’El-Breg. Le soir même, il revint, pour repartir le 27 chez Abdelkader, accompagné de l’aide de camp du général, le capitaine Eynard, et du commandant Frossard, de la Garde Nationale de Paris, que Bugeaud avait autorisé à se joindre au Groupe.

L’Emir reçut l’émissaire français au milieu de son armée, devant sa tente, qui était la seule tente de son camp. Après que le capitaine Eynard lui eut remis les dépêches du général et communiqué les informations orales, l’Emir ordonna qu’une tente fût préparée pour les émissaires français, où ces derniers passèrent la nuit et furent traités avec tous les égards….

….Le lendemain, les émissaires rentrèrent à la Tafna en compagnie de parlementaires d’Abdelkader, dont le Khalifa Bouhmidi.

A partir de cet instant, les négociations allèrent bon train. Le général souhaitait cependant s’entretenir de certains points avec l’Emir, et on prévit donc une rencontre entre les deux chefs, le 1er juillet, rencontre qui devait avoir lieu à deux lieues du camp français. Abdelkader accordait ainsi au général Bugeaud ce qu’il n’avait jamais octroyé au général Desmichels. Mais la raison en était qu’il souhaitait lui montrer l’importante armée qu’il avait rassemblée et voulait, par un entretien avec le général, éviter tous les malentendus auxquels avait donné lieu le dernier traité…

…L’Emir et son entourage offraient un spectacle particulièrement saisissant. Les chefs arabes avaient un aspect guerrier empreint de dignité. Leur visage sombre, maigre et grave ressortait de manière frappante sur leurs vêtements orientaux blancs. La beauté de leurs montures, la sûreté et l’allure avec laquelle ils les chevauchaient étaient remarquables. Abdelkader avançait, quelques pas avant les autres, sur un étalon de toute beauté. Il s’approcha du général Bugeaud et cabra son cheval en lui faisant faire plusieurs sauts en avant. Six de ses serviteurs ou esclaves tenaient sa selle et un corps d’harmonie suivait les mouvements du cheval, tout en jouant la monotone musique arabe…

Aussitôt que Bugeaud vit qu’Abdelkader venait à sa rencontre, il lança son cheval au galop et, arrivé devant lui, lui demanda s’il était Abdelkader.

Sur la réponse affirmative de l’Emir, il lui tendit la main. Suivirent les formules de politesse mutuelles, que l’Emir interrompit vite en sautant de son cheval avec l’aide de ses hommes, après quoi, il s’assit sur le sol, les jambes croisées.

Le général Bugeaud descendit également de cheval et s’assit à côté d’Abdelkader, avec son interprète devant soi…

…Abdelkader déclara qu’il aurait préféré traiter directement avec le roi des Français afin de donner plus de poids au traité de paix, car il déplorait beaucoup qu’un traité signé par un général ait pu être rompu par un autre général. Le général Trézel avait ainsi rompu la paix qu’il avait conclue avec le général Desmichels.

Bugeaud lui répondit que le traité serait soumis à la ratification du roi et que cela constituerait une garantie nécessaire de son respect.

A la demande du général Bugeaud concernant les otages, l’Emir répondit qu’il n’en fournirait que si les Français faisaient de même. « Du reste, ajouta-t-il, les coutumes et les lois des Arabes sont pour vous la meilleure garantie du respect de la paix. Elles nous enjoignent de respecter scrupuleusement nos engagements, et je n’ai jamais renié ma parole »…

…Le costume d’Abdelkader est très simple, sans aucune décoration ni signe de sa dignité. Il porte un burnous noir jeté par-dessus un burnous blanc. Ce n’est que par son cheval et ses armes qu’on s’aperçoit qu’il s’agit d’un chef…

…Une fois la conférence terminée, le général Bugeaud se leva le premier.

Il échangea encore quelques mots avec Abdelkader, qui restait assis. Il lui tendit la main pour le tirer à lui, sur quoi l’Emir se leva avec un sourire et sauta en selle, aidé par ses esclaves. Il repartit comme il était venu, en musique et avec des danses.

Aussitôt qu’il se retourna vers ses troupes, il fut accueilli par ses proches avec des acclamations, qui furent reprises sur toutes les montagnes où son armée avait pris position. Le ciel sembla vouloir accentuer encore la solennité et le caractère imposant de cette scène en faisant gronder un tonnerre dont l’écho retentit dans les montagnes et qui fit un effet saisissant…

 

* officier danois servant dans l’armée française ayant assisté à la conclusion du Traité de la Tafna.


08/08/2012
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